Santé

Hypnose : les vertus d’une autre perception de la réalité

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En raison de l’image qu’en donnent certains spectacles de music-hall et de la représentation que nous en livrent la plupart des œuvres de fiction où elle est mise en scène, l’hypnose apparaît aux yeux de beaucoup comme le support d’une emprise d’un individu, l’hypnotiseur, sur un autre, l’hypnotisé. Loin de ce cliché, elle possède des vertus exploitables tant en médecine qu’en psychothérapie

L’hypnose est une «transe» qui, à l’instar des états de sidération, de dépersonnalisation, de création artistique ou d’euphorie, notamment, fait référence à un vécu ressenti comme non habituel en raison de la façon dont le sujet perçoit sa propre situation et le contexte dans lequel il se trouve. «À la transe est toujours associé un sentiment de décalage par rapport à la réalité, une « mise à distance participative », que l’on nomme état de dissociation psychique», précise Antoine Bioy, professeur à l’Université Paris 8, psychothérapeute au CHU de Bordeaux et directeur scientifique du centre Ipnosia dédié à la formation et l’étude en hypnose.

Dès qu’elle commença à être étudiée, au 18e siècle,  l’hypnose fut appréhendée en Occident comme l’utilisation d’un état de conscience modifié dans une perspective thérapeutique. Vue sous cet angle, elle nécessite l’intervention d’un thérapeute qui, essentiellement par des suggestions et des métaphores, permet au patient de percevoir la réalité selon une perspective susceptible de lui apporter des bénéfices sur le plan de sa santé. «La douleur, par exemple, est une information qui arrive au cerveau, mais qu’il doit analyser, explique le professeur Bioy. Quel est son degré de pénibilité, est-elle dangereuse, quelles sont ses caractéristiques ?… L’hypnothérapeute oriente ce travail d’analyse par le biais de suggestions et métaphores appropriées, ce que le patient ne peut faire lui-même si ce n’est ultérieurement dans le cadre de l’autohypnose, approche qui requiert un apprentissage préalable des techniques de l’hypnose auprès d’un praticien qualifié

De Mesmer à Messmer

Au 18e siècle, le médecin allemand Franz Anton Mesmer (1734-1815) fut le premier à faire usage, dans un but thérapeutique, de cet état de conscience particulier qu’est la transe. Il postulait l’existence d’un fluide magnétique animal (donc vivant) transmissible d’un individu à l’autre, dont la circulation, une fois perturbée, était de nature à déclencher des maladies. D’après lui, ce fluide pouvait être canalisé et utilisé par un magnétiseur en vue de provoquer des crises d’hystérie au terme desquelles les malades seraient guéris. Dans un livre (1) coécrit avec la professeure Marie-Élisabeth Faymonville, anesthésiste qui a dirigé le service de chirurgie maxillo-faciale du CHU de Liège, Antoine Bioy précise la personnalité et la «méthode» de celui à qui l’ont attribué les premiers pas de l’hypnose médicale: «Mesmer est décrit comme une personnalité rigide, on dirait aujourd’hui paranoïaque, qui exerce une forte domination sur ses patients: « Vous ne parlez pas, vous ne dites rien, vous ne bougez plus, vous fermez les yeux et maintenant vous dormez, je le veux ». La domination du thérapeute se combine à l’imposition des mains, lesquelles se rapprochent parfois plus qu’elles n’auraient dû du corps de la femme». Les croyances religieuses pesaient encore de tout leur poids à l’époque de Mesmer, à telle enseigne qu’elles «polluaient» sa démarche, dont il revendiquait la scientificité. Ses patients déclenchaient des crises de convulsion suggérant des états de possession et, ainsi que le relate le professeur Bioy, «les séances d’hypnose étaient des exorcismes laïcs pratiqués par un scientifique».

Dans l’hypnose de spectacle, le comportement très directif de l’hypnotiseur est voisin de la domination qu’exerçait Mesmer sur ses patients. D’ailleurs, l’un des artistes les plus réputés à l’heure actuelle, le Québécois Éric Normandin, n’a-t-il pas choisi Messmer (avec 2 «s» cependant) comme nom de scène ? L’hypnose de spectacle mise à la fois sur la suggestion, comme on peut le faire en hypnose thérapeutique, et sur des «trucs et ficelles». À ce niveau, la première chose à effectuer est de sélectionner, au moyen de quelques tests de suggestibilité, les spectateurs les plus hypnotisables – 2 à 5% de la population. De surcroît, le ou les premiers volontaires conviés à monter sur scène seront des comparses. Pourquoi ? Parce que l’artiste hypnotiseur joue sur le mimétisme. «Quand les participants ont vu ce que l’on attend d’eux, ils ont tendance à le reproduire», souligne Antoine Bioy.

Lui-même a participé à un reportage de l’émission Envoyé spécial de France 2, pour lequel il a décrypté en direct un spectacle de Messmer. Il remarqua très rapidement qu’une des personnes invitées sur scène parmi 9 autres était un comédien. De fait, ce participant ne présenta à aucun moment les signes de la transe, évidents à détecter pour un hypnothérapeute. «C’était le seul qui rajoutait de l’information, rapporte-t-il. Or, en hypnose, un tel comportement est impossible car l’individu n’est plus dans le raisonnement logique. Par exemple, on n’entendra jamais quelqu’un que l’on convie à imaginer le dernier jour de ses vacances en préciser la date.»

Des réactions physiologiques peuvent également être mises à profit par l’artiste hypnotiseur. Exemple: il vous demande de garder le bras tendu et d’imaginer que vous tenez un livre de poche dans la main, puis, au bout d’un certain temps, un livre un peu plus imposant, ensuite un dictionnaire et enfin une encyclopédie. À force de rester bandés, les muscles de votre bras vont se tétaniser. En outre, vous avez reçu l’injonction de garder les yeux fermés et les pieds écartés, ce qui place votre corps en déséquilibre. Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que, comme d’autres participants avec qui vous êtes unis par un lien mimétique, vous finissiez par tomber sur le sol et que les spectateurs pensent que l’unique cause de votre chute est la sensation qui vous a été suggérée lors de l’induction hypnotique que vous tenez un livre extrêmement lourd à bout de bras.

Un cerveau ouvert à l’apprentissage

Le caractère directif de l’hypnose de spectacle et la manière dont l’état de transe est habituellement représenté dans les œuvres de fiction entretiennent chez beaucoup la conviction que l’hypnotiseur possède un pouvoir qu’il peut utiliser dans le but d’exercer une emprise sur autrui. Ce préjugé tenace n’est évidemment pas en phase avec la dimension scientifique de l’hypnose médicale et de l’hypnothérapie. Certes, dans des cas très particuliers où s’instaure une relation amoureuse ou une relation d’autorité ciblant une personne devenue vulnérable à la suite de traumatismes antérieurs, la possibilité d’une forme d’emprise du thérapeute sur son patient ou sa patiente n’est pas absolument exclue. C’est néanmoins l’exception et l’hypnose n’en est pas la clé de voûte. Même si durant l’hypnose, les capacités cognitives – raisonnement, sens critique, etc. – sont érodées et que la suggestibilité augmente, le sujet demeure conscient de ce qui se dit et se produit dans son environnement.

Une des caractéristiques de la transe hypnotique est que le sujet y est à la fois détendu et hyperattentif. Nous pouvons accéder naturellement à cet état. Par exemple, lorsque nos sens sont stimulés de façon répétitive et monotone comme quand on suit du regard un pendule en mouvement. Toutefois, l’état hypnotique en soi ne procure aucun bénéfice au niveau de la santé. Cet objectif ne peut être atteint sans l’accompagnement d’un thérapeute. «Le cerveau sous hypnose est un cerveau ouvert à l’apprentissage, mais il doit être guidé pour cheminer vers le but thérapeutique poursuivi», dit le professeur Bioy. L’hypnose n’est pas assimilable au vagabondage de l’esprit ni à une forme de somnolence. Si la neuroimagerie structurelle et fonctionnelle ne dévoile pas une «aire de l’hypnotisabilité», elle a pourtant permis de dessiner un profil d’activations cérébrales caractéristique de l’état hypnotique. Il apparaît par ailleurs que les cortex préfrontal et cingulaire antérieur sont plus développés que la moyenne chez les individus les plus suggestibles et, partant, les plus facilement hypnotisables. Certains chercheurs ont également montré dans une expérience qui n’a cependant pas été reproduite que plus le corps calleux est épais, plus l’accès à l’état hypnotique est aisé. Selon d’autres travaux, une bonne mémoire de travail exercerait aussi un effet facilitateur.

Existe-t-il en outre des traits de personnalité caractéristiques des individus les plus réceptifs à l’hypnose ? La question fait débat depuis des décennies, mais n’a toujours pas été tranchée. «On n’a jamais pu dégager un profil psychologique spécifique de la suggestibilité, commente Antoine Bioy. Variable selon les individus, elle est influencée par différents facteurs, dont l’âge – le maximum d’hypnotisabilité se situe entre 8 et 12 ans – et l’histoire de chacun. Les trajectoires de vie sans heurts sont associées à une moindre suggestibilité. Pourquoi ? L’explication généralement avancée est que ceux qui, enfants, n’ont pas manqué d’amour et d’affection, ont joui d’un attachement sécure, éprouvent moins le besoin de s’évader de la réalité.» La psychologue américaine Joséphine Hilgard, décédée en 1989, parlait des «grands voyageurs» à propos des enfants rêveurs qui deviennent souvent des adultes enclins à de fréquentes déambulations dans l’imaginaire. Cette caractéristique constitue le seul élément de personnalité – il ne s’agit toutefois pas d’un trait de personnalité sensu stricto – dont il est établi qu’il favorise l’hypnotisation.

Jusqu’à l’émergence de la méthode éricksonienne dans les années 1930, l’hypnose médicale et l’hypnothérapie se voulaient très directives. Depuis les travaux du psychiatre américain Milton Erickson (1901-1980), l’hypnose mise sur l’ouverture, se met davantage au service des besoins du patient. Aussi les suggestions, qui pouvaient apparaître autrefois cinglantes comme des ordres, adoptent-elles habituellement une forme indirecte aujourd’hui («Ne trouvez-vous pas qu’il y a un courant d’air ?» plutôt que «Fermez la fenêtre») et sont-elles fréquemment secondées par l’usage de métaphores.

Le caractère directif de l’hypnose de spectacle et la manière dont l’état de transe est habituellement représenté dans les œuvres de fiction entretiennent chez beaucoup la conviction que l’hypnotiseur possède un pouvoir qu’il peut utiliser dans le but d’exercer une emprise sur autrui.

Mise à distance

De façon schématique et presque caricaturale, on recense 2 grandes catégories d’indications thérapeutiques de l’hypnose: la sphère de certains troubles psychiques et celle de diverses manifestations somatiques. Au sein de la première figurent notamment la dépression, le stress, l’anxiété, les phobies, les troubles du comportement alimentaire, les troubles du sommeil, les addictions aux drogues et à l’alcool ou encore le stress post-traumatique. Dans le cas de la dépression, par exemple, les résultats sont fonction du type de syndrome dépressif. Ils sont controversés dans le cas de dépressions endogènes ou primaires. En revanche, l’hypnose semble avoir un impact favorable sur les dépressions secondaires, c’est-à-dire consécutives à une autre pathologie. Ainsi, des travaux mettent en évidence qu’une amélioration notable peut être obtenue chez des patients cancéreux dont l’état dépressif pouvait être qualifié initialement d’intensité moyenne. Dans le traitement des phobies, l’efficacité de l’hypnose paraît démontrée, de même que dans celui de la boulimie. «Les patients boulimiques déclarent se regarder eux-mêmes manger quand ils sont en crise: ils sont à la fois spectateurs et acteurs. Autrement dit, ils accèdent à un état de dissociation comparable à une transe hypnotique, mais de coloration négative, qui leur nuit. Il n’est donc pas nécessaire au thérapeute de leur apprendre à se mettre en état d’hypnose lors de leurs épisodes de boulimie, mais à l’apprivoiser lorsqu’il survient», indique Antoine Bioy.

De façon générale, des travaux scientifiques de grande ampleur manquent quant à l’efficacité de l’hypnose dans les différents domaines où elle semble receler un potentiel. S’agissant des addictions, par exemple, seules existent quelques études de cas à partir desquelles on ne peut dégager des conclusions générales. «Il faut d’ailleurs avoir le courage de reconnaître ses erreurs. Des recherches effectuées sur de vastes cohortes révèlent que moins de 20% des personnes qui ont eu recours à l’hypnose pour arrêter la cigarette ne fument plus 2 ans après l’hypnothérapie, alors que d’aucuns font miroiter de façon scandaleuse une efficacité de 80, 90, voire 100%…», déclare le professeur Bioy.

Une indication pour laquelle l’efficacité de l’hypnose semble bien établie est le stress post-traumatique. On se trouve alors dans une pratique dont l’objectif est de «fluidifier les processus». Dans tous les types de thérapie (thérapie cognitivo-comportementale, systémique, etc.), l’exposition au souvenir de l’événement traumatique qu’il a vécu constitue un passage obligé qui s’avère éminemment déstabilisant pour le patient. Quand, après plusieurs entretiens, arrive cette étape de la thérapie, l’utilisation de l’hypnose permet un traitement plus souple et plus rapide du souvenir de l’événement à l’origine du traumatisme. Imaginons qu’un individu ait été agressé physiquement en rentrant chez lui. Lorsque, à la suite des suggestions du thérapeute, il est ramené mentalement sur le chemin qu’il avait emprunté ce jour-là et qu’il voit s’approcher son agresseur, situation génératrice d’une vive anxiété, l’hypnose doit lui permettre de s’extraire de sa position d’acteur dans le film de son agression pour en devenir spectateur. De la sorte, son ressenti est mis à distance et, avec l’aide du thérapeute, il pourra travailler plus facilement son rapport à l’anxiété, calmer les émotions qui l’assaillent et, in fine, retourner dans le souvenir de son agression telle qu’il l’a vraiment vécue. «Là se situe la fluidité, dans cette possibilité de changer beaucoup plus facilement de point de vue au sein du travail thérapeutique que si celui-ci s’effectuait dans un état de conscience ordinaire, commente Antoine Bioy. Sous hypnose, l’événement traumatique est revécu au présent, ce qui accélère son intégration, tandis que, dans un état de conscience « normal », la scène traumatisante peut être racontée telle qu’elle a eu lieu mais sans être totalement revécue, si ce n’est au terme de plusieurs narrations

Dans les troubles psychologiques ou les affections psychiatriques, l’hypnose favorise-t-elle l’émergence de souvenirs que le patient aurait éventuellement «bannis» de son esprit ? La réponse doit être nuancée. Comme susmentionné, le patient garde toujours une part de conscience dans l’état hypnotique, de sorte que, selon le professeur Bioy, il demeure le principal maître de la séance thérapeutique bien qu’il n’en éprouve pas le sentiment. Son réflexe premier est de se protéger, de résister s’il a l’impression que l’hypnose peut le déstabiliser. Toutefois, le directeur scientifique du centre Ipnosia rapporte que si la relation que le patient entretient avec l’hypnothérapeute est forte et de bonne qualité, il laissera parfois émerger, à la surprise du praticien, le souvenir d’événements traumatiques qui n’avaient pas été identifiés jusque-là. Ce qui peut se révéler déstabilisant pour lui-même mais aussi pour le thérapeute, qui doit être un psy aguerri.

Se réapproprier son corps

Dans la sphère des manifestations somatiques, l’hypnose est utilisée comme approche complémentaire pour la prise en charge de diverses affections, dont le syndrome du côlon irritable, les pathologies dégénératives – surtout rhumatismales -, le cancer, le mal de dos chronique ou encore les maladies auto-immunes. La gestion de la douleur, du stress et de l’anxiété fait alors partie des priorités. Prenons le cas de la douleur. Comme le souligne le professeur Bioy, le thérapeute va jouer sur l’attention, en lien avec la mémoire et les émotions. Concrètement, il pourra demander au patient sous hypnose d’être attentif à la manière dont s’exprime la douleur qui le tenaille, mais également d’aller «rechercher» d’autres sensations corporelles. Pourquoi ? Pour qu’il prenne conscience qu’à côté des parties de son corps sur lesquelles il focalise son attention parce qu’elles sont douloureuses, d’autres ne le sont pas. Si le patient veut être soulagé, il est essentiel qu’il intériorise ce qu’est l’absence de douleur, qu’il se forge l’idée d’une sensation non nociceptive, condition nécessaire pour que l’hypnothérapeute puisse travailler avec lui à l’apaisement de sa douleur dans les zones corporelles dont elle émane. «L’hypnose permet un travail dit de réassociation car dans un contexte douloureux, entre autres, le patient tend à considérer que son corps n’est plus vraiment le sien, qu’il est son ennemi. Il faut qu’il se le réapproprie», précise Antoine Bioy.

S’il est aisé de prendre en charge la douleur aiguë avec l’hypnose – le sujet n’a pas encore développé une mémoire de sa douleur ni des émotions particulières qui lui sont associées -, on observe chez les patients une immense variabilité du ressenti et des résultats thérapeutiques lorsqu’il s’agit de douleurs chroniques. «L’un des principaux défis des études scientifiques dans le domaine de l’hypnose est de réussir à cerner la complexité des processus impliqués dans la chronicité», conclut notre interlocuteur.

(1) Antoine Bioy et Marie-Élisabeth ­Faymonville, La révolution de l’hypnose, Dunod, 2018.

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