Technologie

Quand la nature inspire

Virginie CHANTRY • virginie@marketrotters.com

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Le monde vivant est fascinant à bien des égards. Mère Nature nous montre une variété de formes et de comportements répondant à des fonctions particulières. Il est donc logique d’en prendre de la graine pour relever les défis techniques et technologiques auxquels l’humanité est confrontée. De cette idée sont nées les sciences bio-inspirées, qui prennent exemple sur l’ingéniosité de la nature pour répondre aux problématiques actuelles et futures dans divers secteurs. Se démarquant du biomimétisme qui cherche à imiter des formes, des structures, des mécanismes naturels ou des fonctions biologiques existantes, ces sciences incitent les chercheurs à innover en s’appuyant sur leurs observations et leur compréhension du monde vivant. Prenons notre microscope et immergeons‑nous dans le nanomonde pour découvrir ce que l’échelle moléculaire a de plus étonnant à nous offrir

Médecine, architecture, énergie, électronique, aérospatial… Tous ces secteurs peuvent tirer avantage des innovations bio-inspirées. L’adjectif «bio-inspiré» se réfère à des techniques développées en s’appuyant sur des principes et des structures observés dans le monde vivant, jusqu’à des échelles aussi petites que le nanomètre (un milliardième de mètre, soit 10-9 mètre): animaux, plantes, virus, champignons, micro-organismes… Cette approche exploite les solutions que le monde vivant a affinées au fil de l’évolution dans le but de créer des innovations durables, moins polluantes et plus économes en énergie, et de produire des matériaux recyclables qui sont à la fois de haute qualité et efficaces.

Science et pédagogie

Afin d’inciter le grand public à explorer ce monde riche et incroyablement diversifié du vivant, Mathieu Surin, directeur de recherches FNRS à l’Université de Mons et enseignant en chimie supramoléculaire et chimie bio-inspirée, a rédigé un ouvrage traitant des matériaux bio-inspirés. Intitulé Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés et paru aux Éditions Universitaires de l’UMons en avril dernier, ce livre (1) est un savant mélange entre essai scientifique et manuel pédagogique. Il plonge le lecteur à l’échelle des structures moléculaires naturelles des organismes vivants.

Mais qu’entend-on par «vivant» ? Dans son ouvrage, Mathieu Surin corrèle ce concept avec la notion de mouvement telle que définie par Léonard de Vinci au travers de sa célèbre phrase «le mouvement est le principe de toute vie». Qu’il s’agisse des animaux et de leur capacité à se mouvoir de façon autonome ou des plantes et de leur croissance, c’est à l’échelle cellulaire, et même moléculaire, que l’on trouve l’origine de ce mouvement caractéristique des êtres vivants. 

(1) Mathieu Surin, Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés, Éditions Universitaires de l’UMons, 2024.

 
Les super-pouvoirs des animaux

Une source évidente d’inspiration et de fascination pour l’être humain est le règne animal. En témoignent les nombreux longs métrages faisant référence aux aptitudes uniques des animaux: Black Panther, où les technologies et les costumes s’inspirent des caractéristiques et capacités défensives des félins; Ant-Man, qui explore la force et l’agilité extraordinaires des fourmis; ou encore The Shape of Water qui s’inspire des capacités adaptatives des créatures aquatiques à des environnements extrêmes à travers le personnage principal qui est amphibie.

Dans son livre, Mathieu Surin met en avant plusieurs spécificités intéressantes de certains animaux et ce qu’ils peuvent inspirer dans le domaine des matériaux: 

  •    la surface des ailes des papillons qui est hydrophobe, c’est-à-dire qui repousse l’eau, et empêche la croissance des bactéries: textiles imperméables antibactériens;
  •    les pattes du gecko qui sont «collantes» (ce petit coquin grimpe partout où ça le chante, même au plafond) ou la «salive» du caméléon qui possède une très haute viscosité (un liquide à haute viscosité, comme le miel, s’écoule lentement et semble épais, tandis qu’un liquide à faible viscosité, comme l’eau, s’écoule rapidement et facilement): nouvelles matières extrêmement adhésives;
  •    les épines des oursins qui sont à la fois très poreuses et robustes: matériaux auto-nettoyants, anti-reflets ou anti-corrosion en jouant sur la taille des pores;
  •    les toiles d’araignées dont la soie est élastique et résistante: nouveaux textiles en tout genre. De plus, cette soie peut absorber une quantité d’énergie supérieure au Kevlar, matériau utilisé pour réaliser des gilets par-balles, avant de rompre. Des recherches se basant sur les protéines composant les fibres de soie d’araignée ont donné naissance à un matériau flexible et résistant qui pourrait être utilisé dans la fabrication de gilets par-balles, de cordages, de sutures chirurgicales ou encore dans le domaine de la construction ou de l’aviation.

L’aile de papillon, observée au microscope, révèle une surface couverte d’écailles hydrophobes aux structures  complexes et irrégulières. Cette architecture limite les points de contact pour l’eau, permettant aux gouttelettes de  conserver une forme sphérique et de rouler en emportant les impuretés. Ce phénomène naturel inspire aujourd’hui  des matériaux déperlants dans les domaines du textile et du revêtement.

Le monde des plantes

Tout comme le monde animal, règne végétal offre des modèles fascinants pour des matériaux bio-inspirés qui pourraient bien changer la donne en termes de production d’énergie renouvelable. En effet, qui dit plantes et lumière du soleil dit photosynthèse. Les pigments des feuilles, tels que la chlorophylle (verte) et les caroténoïdes (tons orange), sont des molécules photosensibles qui jouent un rôle crucial en capturant l’énergie solaire. Grâce à des mécanismes complexes, cette dernière est transformée en énergie chimique utilisée pour fabriquer des glucides, à partir de molécules d’eau et du dioxyde de carbone de l’air. Tout cela est loin d’être évident à reproduire. C’est pourtant une très belle voie à exploiter pour répondre aux 2 grands défis énergétiques de ce siècle, comme le souligne Mathieu Surin dans son ouvrage: l’augmentation des besoins en énergie liés à la croissance démographique et aux nouvelles technologies d’une part, et les changements climatiques dus aux émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère par la combustion d’énergies fossiles comme le pétrole d’autre part. 

Les matériaux bio-inspirés pourraient offrir une solution aux défis majeurs de l’humanité tels que les besoins alimentaires croissants ou la production d’énergie sans génération de déchets toxiques

La photosynthèse, qui convertit donc la lumière en substances organiques, utilise le soleil. Cette source d’énergie est à la fois abondante et renouvelable. Théoriquement, l’ensoleillement de la Terre pendant une heure pourrait couvrir les besoins de la planète entière pendant une année, si toute cette énergie pouvait être captée et utilisée efficacement, autrement dit avec un rendement (rapport entre l’énergie produite utilisable et l’énergie consommée) de 100% (donc 0% de perte). Cela n’est bien entendu pas réaliste même si c’est de bon augure. Toutefois, et comme déjà mentionné dans un précédent numéro d’Athena (   voir Athena n° 362, pp. 12-15)  , l’importance d’analyser le cycle de vie entier d’un dispositif, comme un convertisseur d’énergie solaire en électricité, est cruciale pour déterminer sa pertinence écologique. Un paramètre dont il faut notamment tenir compte est le Taux de Retour Énergétique ou TRE, qui mesure le rapport entre l’énergie utilisable produite par le dispositif et l’énergie consommée pour sa fabrication. Il est également essentiel de considérer la disponibilité des matières premières. Comme l’observe Mathieu Surin, un bon exemple est celui des panneaux photovoltaïques. Bien qu’ils offrent un rendement énergétique de 15-20%, leur TRE se situe entre 2 et 3 en moyenne, ce qui signifie qu’il faut plusieurs années pour compenser l’énergie investie dans leur production. De plus, les panneaux, qui ont une durée de vie d’environ 30 ans, sont généralement fabriqués à partir de silicium, une ressource qui se raréfie…

En ce qui concerne la photosynthèse des plantes, le TRE – dans ce cas-ci le rapport entre l’énergie capturée et convertie par photosynthèse et l’énergie dépensée pour leur survie – peut atteindre jusqu’à 30 pour certaines variétés tropicales, bien que le rendement soit seulement de quelques pourcents. Il est intéressant de souligner que ce processus consomme du CO2, gaz à effet de serre s’il en est, offrant ainsi une double utilité – production d’énergie verte et dépollution de l’atmosphère. Bien que les chercheurs aient encore beaucoup de défis à relever, des initiatives émergent dans ce domaine en plein essor. Citons par exemple les recherches sur la spiruline, micro-algue riche en chlorophylle et utilisée pour développer de nouveaux types de cellules photovoltaïques souples, promettant ainsi une plus grande polyvalence que les actuelles. Le rendement n’y est pas encore, mais les perspectives sont encourageantes.

La bactérie Ideonella sakaiensis, mangeuse de plastique. Sur cette illustration, elle est agrandie et n’est donc pas à l’échelle par rapport à la bouteille. Elle mesure en général entre 1,2 et 1,5 μm de longueur et 0,6 à 0,8 μm de largeur.

Dépollution, thérapies & Co

Le PET (polyéthylène téréphtalate) est un plastique très utilisé dans le secteur alimentaire, notamment pour conditionner diverses boissons telles que l’eau et le soda. Gros bémol cependant, son recyclage n’atteint pas une qualité suffisante pour remplacer le matériau d’origine… En conséquence, environ 70 millions de tonnes de nouveau PET sont produites chaque année, une grande partie terminant soit en décharge, soit dispersée dans l’environnement. Cependant, la nature offre une lueur d’espoir avec la bactérie Ideonella sakaiensis, qui a évolué pour «manger» ce type de plastique. Elle dégrade les chaînes polymères  voir Athena n° 361, pp.12-15) du PET, qui sont des macromolécules composées de répétitions d’unités moléculaires identiques appelées monomères, en leurs composants plus simples, rendant ainsi possible un recyclage plus efficace. De quoi donner de belles idées aux chercheurs !

L’inspiration pourrait également venir de certaines plantes, telles que les fougères, capables de métaboliser les métaux toxiques présents dans les sols, contribuant ainsi à leur assainissement. En développant des techniques pour extraire efficacement ces métaux des feuilles, il serait possible de les réutiliser, favorisant ainsi une plus grande circularité dans la gestion des ressources. Cette approche pourrait non seulement réduire l’impact environnemental des déchets industriels mais également ouvrir de nouvelles voies pour le recyclage des métaux.

Même les virus peuvent stimuler la créativité dans la recherche scientifique, comme le souligne Mathieu Surin. Grâce à leur capacité exceptionnelle à traverser les membranes cellulaires, ils offrent une source d’inspiration précieuse pour développer de nouvelles méthodes en pharmacologie. Ces techniques pourraient permettre de concevoir des médicaments capables de cibler spécifiquement certaines cellules, en franchissant leurs membranes, afin d’améliorer significativement leur efficacité.

Et la liste est loin d’être terminée. Il existe de nombreux autres mécanismes naturels que les scientifiques explorent pour créer de nouveaux matériaux bio-inspirés: les sens de l’odorat et du goût pour développer des capteurs capables de détecter des drogues ou des molécules toxiques; les mouvements collectifs des protéines qui gèrent la contraction et la détente des muscles comme modèle pour concevoir des machines moléculaires artificielles utilisées en biomédecine; l’ADN et sa remarquable capacité à stocker des informations sur de longues périodes qui pourrait révolutionner le stockage de données informatiques…

Cet aperçu des matériaux bio-inspirés ne représente qu’une infime partie de l’immense potentiel que recèle ce domaine porteur. Alors que nous continuons de déchiffrer les secrets de la nature, chaque découverte ouvre la voie à des innovations qui pourraient transformer notre manière de construire, de guérir et de vivre. Les futures avancées promettent non seulement d’améliorer les performances et la durabilité des matériaux, mais aussi de contribuer à une approche plus écologique et plus durable de la technologie. À mesure que nous progressons, il devient essentiel que les biologistes, les chimistes, les ingénieurs et les technologues collaborent étroitement pour exploiter pleinement ces inspirations naturelles. En fin de compte, les matériaux bio-inspirés ne sont pas seulement une réponse aux défis techniques et environnementaux. Ils sont aussi un hommage à la sophistication et à l’ingéniosité de Mère Nature elle-même.

«Explorer l’invisible – 3e édition»

Pour ceux qui voudraient pousser plus loin la découverte de l’infiniment petit (et de l’infiniment grand par la même occasion), l’exposition «Explorer l’invisible – 3e édition» se tient au MUMONS, musée de l’Université de Mons dédié aux sciences, aux arts et aux curiosités, jusqu’au 13 avril 2025. Au travers d’images scientifiques obtenues dans les laboratoires de l’UMons et sélectionnées avec soin par l’équipe du musée, des «créatures, parfois monstrueuses, qui mènent une vie insoupçonnée loin des regards indiscrets» (2) sont dévoilées dans toute leur intimité. Un savant mélange de science et d’art contemporain qui surprend de bien des façons. 

 
 

Techno-Zoom

Jana Skirnewskaja, doctorante au département d’ingénierie de l’Université de Cambridge, a récemment développé, avec une équipe de chercheurs, un système novateur pour aider les automobilistes à éviter les obstacles invisibles, contribuant ainsi à la réduction du nombre d’accidents. Ce système utilise la technologie LiDAR, acronyme de “Light Detection And Ranging” ou “détection et estimation de la distance par la lumière”, afin de collecter des nuages de points grâce à un scanner laser 3D, permettant de définir les silhouettes des objets et personnes présents dans l’environnement de l’automobiliste. Ces données sont ensuite utilisées pour représenter, en temps réel et en 3D, les obstacles et les projeter directement dans l’œil du conducteur grâce à un laser de très faible puissance. Cette projection réaliste permet au conducteur de maintenir son attention sur la route tout en bénéficiant d’informations supplémentaires sur les dimensions et positions des obstacles, améliorant significativement la sécurité routière. Les premiers tests, effectués dans deux rues de Londres, ont permis d’identifier plusieurs obstacles. À terme, l’objectif est de déployer ce système partout en temps réel, grâce notamment à un modèle de machine learning permettant une identification automatique et précise des obstacles présents sur la route. Pour ce faire, les voitures devront être équipées de plusieurs capteurs LiDAR.


Références

–  Communiqué de presse par les Éditions universitaires de l’UMONS : “Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés Mathieu Surin

–  Livre “Matières vivantes. Créer des matériaux bio-inspirés”, Mathieu Surin, Éditions Universitaires de l’UMONS

– Sites web :

   https://mumons.be/museum/activites/matieres-vivantes-creer-des-materiaux-bio-inspires/

   https://mumons.be/museum/activites/explorer-linvisible-3e-edition/

   https://mumons.be/a-propos/

   https://www.pourlascience.fr/sd/physique/l-infiniment-petit-en-physique-4194.php

   https://www.cairn.info/revue-vraiment-durable-2014-1-page-43.htm

   https://www.allocine.fr/film/fichefilm-246009/secrets-tournage/

   https://www.lesechos.fr/thema/articles/de-la-soie-daraignee-artificielle-pour-des-fibres-ultraresistantes-132238

   https://www.futura-sciences.com/sciences/definitions/physique-thermodynamique-3894/

   https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/environnement-energie-grise-vrai-bilan-energies-renouvelables-93560/

   https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/botanique-photosynthese-227/#

   https://www.futura-sciences.com/maison/questions-reponses/electricite-correspond-rendement-photovoltaique-3793/

   https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/quel-est-le-secret-de-la-photosynthese-des-plantes-16076.html#:~:text=De%20fait%2C%20la%20photosynth%C3%A8se%20offre,%C3%A9nergie%20lumineuse%20en%20%C3%A9nergie%20chimique.

   https://www.lemonde.fr/archives/article/1976/01/28/le-rendement-de-la-photosynthese_2957836_1819218.html

   https://www.recycletheone.com/fr/quest-ce-que-le-pet/#:~:text=Le%20PET%2C%20ou%20polyt%C3%A9r%C3%A9phtalate%20d,le%20plus%20recyclable%20au%20monde.

   https://www.laboratoire-lescuyer.com/nos-actifs/spiruline

   https://parlonssciences.ca/ressources-pedagogiques/documents-dinformation/les-bacteries-mangeuses-de-plastique-les-recycleurs

   https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/climatologie-tout-savoir-effet-serre-1954/page/7/

   https://asknature.org/fr/strategy/wing-surface-self-cleans/

   https://ceebios.com/wp-content/uploads/2020/02/MEP_MBI_200203-web.pdf

   https://microbenotes.com/ideonella-sakaiensis-plastic-eating-bacteria/

TECHNO-ZOOM 

   https://www.futura-sciences.com/tech/breves/futur-innovation-securite-routiere-innove-projection-images-3d-obstacles-oeil-conducteur-9568/

   https://hellofuture.orange.com/fr/vehicules-intelligents-une-technologie-projette-limage-dobstacles-dans-loeil/?utm_source=futura&utm_medium=article&utm_campaign=Futura2405

   https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/adom.202301772

   https://www.sick.com/fr/fr/sick-sensor-blog/capteurs-lidar-definition-technologie-applications-et-solutions-sick/w/blog-capteurs-LiDAR/

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