Chimie

Polymères synthétiques: 
une révolution dans notre mode de vie

PAUL depovere • depovere@voo.be

Des polymères naturels tels que la soie, la cellulose et l’amidon étaient connus depuis des millénaires. Quoi qu’il en soit, dans les années 1900, les chimistes ne savaient pas grand-chose sur la manière dont ces polymères se forment et sur les forces qui assurent leur cohésion, encore que le célèbre chimiste allemand, Hermann Staudinger, tentait sans succès de persuader ses collègues que toutes ces «macromolécules» résultent de l’assemblage, par des liaisons covalentes, d’entités plus petites appelées monomères… 

Cependant, la validité de la théorie de Staudinger ne sera reconnue que bien plus tard, notamment après que Karl Ziegler et Giulio Natta eurent découvert des catalyseurs capables de stéréoréguler la polymérisation d’alcènes tels que le propène. À la suite de cette découverte, Staudinger recevra le prix Nobel de chimie en 1953. Quant à Ziegler et Natta, ils en bénéficieront 10 ans plus tard.

Bref, il était dans l’air du temps de chercher à mettre en valeur les petites molécules issues de l’industrie pétrochimique et en particulier, de ­tenter de réaliser des polymérisations afin d’obtenir des molécules à longues chaînes. L’une des premières substances ainsi obtenues par synthèse était la Bakélite, une résine thermodurcissable résultant de la polycondensation du phénol avec le formaldéhyde. Ce succédané de l’ambre a été inventé en 1907 par Leo Hendrik Baekeland, un chimiste ­gantois qui émigra aux États-Unis en 1889.

Outre-Atlantique, celui-ci mettra tout d’abord au point un nouveau papier photographique, le Velox, qui peut être développé sous la lumière artificielle. La Eastman Kodak Company lui rachètera son invention pour la  coquette somme de 750000 dollars, ce qui permettra à notre ingénieux chimiste de poursuivre ses travaux de recherche dans  son propre laboratoire tout en vivant de ses rentes.

1.

Bakélite

2.

Celluloïd

3.

Viscose – Cellophane

C’est dans ce contexte qu’il développera le plastique prêt à mouler qui, dès qu’il a durci, conserve sa forme en toutes circonstances. Baekeland donnera son nom à ce matériau isolant incassable, résistant à la chaleur et aux produits chimiques. La Bakélite (voir photo 1) servira immédiatement à fabriquer des boîtiers de radios, des téléphones, des boules de billard, etc. Un nouveau secteur de la chimie organique était né, en l’occurrence celui des polymères synthétiques !

On se doit toutefois de signaler qu’auparavant, diverses matières plastiques semi-synthétiques avaient été inventées au départ du polymère naturel qu’est la cellulose. Ainsi, Alexander Parkes avait présenté sa «Parkésine» lors de l’Exposition universelle de Londres en 1862. Il s’agissait d’une matière cellulosique pouvant être moulée à chaud et qui conservait sa forme à froid. Mais le coût prohibitif des matières premières a précipité ce nouveau matériau dans l’oubli.

En 1869, John Wesley Hyatt, un imprimeur du New Jersey, a inventé le Celluloïd, destiné à remplacer l’ivoire dans la fabrication des boules de billard, un jeu très en vogue à une époque où ce ­précieux matériau se faisait rare. Il avait malencontreusement renversé une bouteille de collodion dans son atelier et avait remarqué qu’après évaporation du solvant (éther et alcool), il subsistait une pellicule de nitrocellulose résistante et assez flexible. Des boules de billard furent donc confectionnées à partir de collodion, en y ajoutant du camphre en guise de plastifiant, mais inconvénient plus qu’embêtant, celles-ci explosaient parfois lorsqu’elles se heurtaient (d’où le passage à des boules en Bakélite) ! Le Celluloïd faisait ainsi son apparition, en fait surtout sous forme de cols de chemises, de poupées, voire de pellicules cinématographiques (voir photo 2), hélas très inflammables !

La viscose, autre forme de cellulose, a été mise au point à Paris en 1884 par Hilaire Bernigaud, comte de Chardonnet. Celui-ci était l’assistant de Pasteur, au moment où ce dernier cherchait à ­éradiquer la maladie des vers à soie. Bernigaud eut l’idée d’imiter les vers à soie, c’est-à‑dire d’extruder une matière visqueuse – en l’occurrence de la cellulose sodique obtenue à partir de pulpe de mûrier, dont les feuilles servent précisément de nourriture pour les vers à soie ! – au travers d’une filière. Il réussit de la sorte à obtenir ce que l’on appellera de la rayonne, un textile ressemblant à la soie. La viscose permet également de fabriquer des pellicules transparentes comme la Cellophane destinée aux emballages (voir photo 3), surtout après qu’un chercheur de chez DuPont ait réussi en 1926 à rendre celle-ci résistante à l’humidité.

Timbre malais de 1968, montrant un modèle moléculaire du monomère qu’est l’isoprène. À gauche, on aperçoit la «saignée» d’un hévéa en vue de récolter le latex.

  

Et le caoutchouc dans tout cela ?

Le mot caoutchouc vient de caotchu, qui, pour les indiens d’Amérique du Sud, signifie «larmes des arbres». Cette substance imperméable provient en effet de la coagulation du latex de certains arbres tropicaux, tel l’Hevea brasiliensis. Il s’agit d’un polymère de l’isoprène.

Rapporté dès 1736 en France par Charles de La Condamine, le caoutchouc fut tout d’abord employé comme gomme à effacer le crayon, puis pour imperméabiliser les tissus selon un procédé mis au point par Charles Macintosh en 1823. En réalité, ce matériau ne présentait pas beaucoup d’intérêt étant donné qu’il devenait mou et collant aux températures plus élevées alors que par contre, il était trop rigide et cassant aux basses températures. Il fallut en fait attendre la découverte de la vulcanisation par Charles Goodyear en 1839 pour que le caoutchouc devienne parfaitement élastique et se prête au développement industriel fulgurant que l’on connaît. Mais ceci est le début d’une autre histoire !

Pour en savoir plus

La fabuleuse histoire des bâtisseurs de la chimie moderne, Paul Depovere, 2édition, De Boeck Supérieur, 2013

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