Société

Sciences et techniques: des métiers d’avenir

Anne-Catherine DE BAST

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On les regroupe sous l’appellation STEM. Les études et métiers scientifiques et techniques ont pour point commun d’être en pénurie. Les jeunes ont tendance à déserter ces filières, pourtant particulièrement porteuses d’emploi. En raison: la mauvaise représentation qu’ils s’en font, l’influence de leur entourage ou encore leur (manque de) confiance en leurs propres compétences

 

Électricien ? En pénurie. Développeur informatique ? Pénurie. Ingénieur ? Pénurie. Chauffagiste, soudeur, dessinateur industriel ? Pénurie. Si ces métiers ont pour point commun d’être porteurs d’emploi, ils font aussi partie de la même filière: les STEM, pour Sciences, Technology, Engineering and Mathematics. «Il n’y a pas de définition consensuelle des STEM, précise Paul De Sacco, de la Direction générale Stratégie du Forem. Mais on peut parler de métiers manuello-intellectuels faisant référence à des compétences techniques et intellectuelles

Le panel est donc vaste, les STEM regroupant des professions occupées tant par des diplômés de l’enseignement secondaire qualifiant que par des universitaires hautement qualifiés. Pour mieux cibler les publics, on les classe d’ailleurs en 2 types: les métiers dits intellectuels ou cognitifs et les métiers manuels, ne requérant pas les mêmes aptitudes et qualifications. Mais dans les 2 cas, le constat est le même. «À l’horizon 2030, on estime qu’il y aura des centaines de milliers d’emplois vacants dans le domaine des STEM car la demande va exploser, alors qu’en parallèle on constate peu d’attrait vers ces métiers, explique Frédéric Nils, professeur à l’UCLouvain et spécialiste de l’orientation scolaire et professionnelle. Autrement dit, il n’y a pas assez d’attrait que pour satisfaire les besoins des entreprises, qui tirent la sonnette d’alarme quant à une pénurie de profils STEM en Wallonie

Dans ce cadre, le Forem a commandé une enquête sur «Les déterminants de l’attrait pour les études et les métiers scientifiques et techniques chez les 12-25 ans», pilotée par Frédéric Nils et Pierre Bouchat, Docteurs en psychologie (UCLouvain), Paul-Louis Colon et Paul De Sacco (Forem).

Six mille jeunes wallons de 12 à 25 ans, élèves de secondaire, étudiants du supérieur et demandeurs d’emploi, ont ainsi été interrogés. Si l’analyse de la littérature scientifique avait déjà permis d’établir quelques hypothèses, la recherche a permis de les chiffrer et de les hiérarchiser, dans le but de proposer des leviers d’action. Elle a ainsi identifié clairement le caractère déterminant des facteurs suivants dans l’attrait pour les métiers scientifiques et techniques: le genre, le sentiment de compétence et l’attitude par rapport à ces matières, le niveau d’études des parents, l’importance accordée aux conditions de travail, l’avis de l’entourage du jeune et la volonté de s’investir dans sa scolarité.

  

L’enquête
en chiffres

•  6 242 jeunes de 12 à 25 ans ont répondu à l’enquête

•  2 137 fréquentent l’enseignement secondaire (dont 739 dans le premier degré)

•  2 871 étudiants évoluent dans l’enseignement supérieur

•  1 234 sont demandeurs d’emploi répertoriés dans les bases de données du Forem

•  3 procédures de récolte de données ont été mises en place pour favoriser la représentation la plus complète possible des différents publics: le format électronique, le papier et les entretiens téléphoniques

 

Des métiers de garçons, vraiment ?

Sans surprise, le genre est donc le facteur le plus décisif pour les choix d’orientation vers les métiers techniques. «Il y a moins de jeunes filles attirées par ces métiers que de garçons», souligne Frédéric Nils. Qui avance 3 explications à cela. À niveau de performance scolaire égal, les filles n’ont pas autant confiance en leurs capacités que les garçons. Ce sont des filière réputées difficiles, elles hésitent plus à s’y engager. Ensuite, elles sont moins encouragées à aller vers ces métiers par leurs amis, leur famille, les enseignants de secondaire. Et enfin, les représentations de ces métiers sont fausses… On pense souvent qu’on y travaille seul, qu’il y a peu de possibilités de développer un esprit communautaire, un esprit d’équipe. Or, les filles recherchent plus d’esprit de cohésion dans leur travail que les garçons.

Plus largement, «les attentes des jeunes ne sont plus celles de leurs aînés, qui recherchaient avant tout la stabilité et étaient moins dans le besoin de trouver du sens, explique Paul De Sacco. Aujourd’hui, les jeunes sont sensibles aux valeurs, à la contribution sociétale du travail. Ils veulent un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et des conditions qui leur permettent de s’épanouir tant professionnellement que personnellement.»

La recherche démontre également que la question du variable sociodémographique (âge, sexe, éducation des parents,…) pèse lourd dans le choix de l’orientation. «Ils sont 2,5 fois supérieurs aux variables liés à l’individu, soit la manière dont le jeune perçoit son avenir, ses aptitudes par rapport à l’effort, son travail…, insiste Paul De Sacco. Le sentiment de confiance par rapport à eux-mêmes, par rapport aux compétences, globalement par rapport à l’avenir, entre également en ligne de compte. Si leur sentiment de compétence est élevé dans ce domaine et qu’ils ont une vision positive des sciences, ils vont aller vers les métiers STEM qualifiés. À l’inverse, s’ils ont le sentiment de ne pas être bons, ils vont vers les STEM manuels

Car c’est indiscutable: dans la pratique, les jeunes attirés par les STEM de type intellectuel montrent un profil différent de ceux attirés par les STEM de type manuel. «Les métiers manuels requièrent peu de qualifications, précise Frédéric Nils. Ils sont surtout choisis par les garçons qui sont intéressés par les sciences mais qui ont peu confiance en eux. Ce sont des jeunes en difficulté scolaire, qui choisissent ces filières presque par défaut car ils n’ont pas assez confiance pour faire autre chose. Ils sont dans une logique de facilité par rapport à l’école. Au niveau sociologique, ce sont des garçons qui viennent de milieux populaires.»

À l’opposé, les jeunes attirés par les métiers plus cognitifs sont issus de milieux plus aisés. Leurs parents ont souvent fait des études universitaires et les poussent à suivre la même voie. «C’est un public sociologiquement différent. Ils ont une bonne confiance en eux, en leurs compétences en maths et en sciences. Ils ont une attitude positive à l’égard de l’effort, du travail. Ils reconnaissent avoir été influencés par leur entourage dans leur choix d’études.»

Le métier et le niveau de formation des parents a donc un impact déterminant sur l’orientation vers les métiers techniques, de même que le niveau d’études auquel aspirent les jeunes interrogés dans le cadre de la recherche.

Les jeunes sont particulièrement influencés par leur entourage. S’ils ont confiance en eux et en leurs compétences en maths et en sciences, ils auront une attitude positive par rapport aux études et métiers STEM

Des leviers pour agir

Si cette recherche vise à définir les facteurs déterminant l’attrait des jeunes pour les STEM, elle a également pour objectif de mettre en place des interventions. L’une des premières à étudier concerne les stéréotypes de genre. Malgré les idées reçues, la dimension de communalité (l’interaction avec d’autres personnes et dans un intérêt commun) est bien présente dans les métiers scientifiques et techniques. «Il est nécessaire de changer les représentations que les filles ont des études et métiers STEM, insiste Frédéric Nils. Car en réalité, on travaille sur des projets, il y a une dimension sociale». Faire évoluer cette représentation pourrait être une manière d’éveiller leur intérêt. Comment ? Le chercheur suggère par exemple de les mettre en contact avec le monde du travail. Il faut montrer aux jeunes filles que leur représentation des STEM est en partie erronée en les encourageant à faire des observations ou des stages en entreprises. Il faut leur montrer qu’on y travaille en équipe, en réseau, que la solidarité prime sur la compétition. 

Mais selon lui, il faut aussi changer la mentalité des enseignants. Ils doivent les encourager et leur donner confiance en leur capacités, et ne doivent plus faire de distinctions homme-femme par rapport aux choix d’options. Cela vaudrait la peine que le personnel enseignant fasse un travail sur le manque de confiance qu’ont les jeunes filles à l’égard de leurs compétences scientifiques et techniques. Plus globalement, il faut déconstruire les stéréotypes de genres associés aux métiers STEM et créer des contextes «girls friendly»: mettre en place un contexte favorable à l’accueil des femmes et des filles, leur montrer qu’elles ont leur place, et même une plus-value à apporter par rapport à un contexte purement masculin. Elles peuvent s’y épanouir, au même titre que dans les fameux métiers du care, dédiés aux soins aux personnes, réputés plus féminins.

 

Un centre de références STEM

Constatant l’émergence de nouveaux métiers dans le champ des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, la Wallonie et la Fédération Wallonie-Bruxelles souhaitent donner envie aux jeunes, de tous milieux socio-économiques confondus, de s’orienter vers ces filières, prioritaires dans le cadre de l’économie et de la création d’emploi. Si des actions de sensibilisation du grand public aux sciences et aux techniques et des formations qualifiantes sont déjà mises en place, il devient indispensable de les coordonner pour en optimiser l’impact. À cette fin, un centre de références STEM sera prochainement mis sur pied.

Ce dispositif d’orientation tout au long de la vie sera organisé autour des 4 Cités des métiers wallonnes et bruxelloises, et des Carrefours Emploi Formation Orientation (CEFO). Il vise à impliquer un maximum d’acteurs socio-économiques de l’enseignement, de la formation de l’orientation mais aussi de la société civile.

Le centre de référence STEM aura pour mission de proposer aux différents gouvernements une stratégie globale sur 10 ans dans le but de coordonner les différentes actions menées dans le domaine des STEM. Une task-force, organe de conseil, regroupera des représentants de tous les acteurs actifs dans le domaine. Elle aura pour mission de proposer au centre une stratégie de développement des filières STEM. Elle proposera aussi un plan d’actions à moyen terme et à long terme visant à coordonner, orienter et développer les efforts d’orientation professionnelle, d’enseignement, de formation, de sensibilisation, d’encadrement et de vulgarisation, tout en veillant à la cohérence avec le dispositif d’orientation.

 

Concrétiser l’enseignement 

En parallèle, il est crucial de revaloriser l’image des métiers STEM de bas niveau de qualification, de leur donner une image positive, de démontrer leur utilité par rapport aux grands enjeux sociétaux contemporains. «Il faut mettre l’accent sur les nombreux avantages qu’ils procurent, explique Frédéric Nils. Ils sont en pénurie, donc ils amènent au plein emploi. Ce sont des métiers moins pénibles que par le passé. Par exemple, un mécanicien travaille sur des ordinateurs, des outils de commanderie. Il n’a plus forcément les mains dans le cambouis, comme auparavant. Il y a notamment des actions ciblées à mener auprès des milieux privilégiés qui n’envisagent pas ces filières, alors qu’elles sont pourvoyeuses d’emplois et hautement rémunératrices

Le docteur en psychologie pointe également la manière dont les maths et les sciences sont enseignées dans les écoles secondaires. Pour lui, il serait bénéfique de faire davantage de liens avec les métiers, l’enseignement étant encore actuellement trop abstrait. Il se base sur la matière pure. Il doit faire le lien avec les métiers dans lesquels on l’utilise, pour que les jeunes puissent mieux comprendre ce pour quoi ils apprennent.

Paul De Sacco, du Forem, abonde dans le même sens. «Il faut essayer d’aborder les sciences et les maths de manière moins abstraite qu’aujourd’hui, d’être plus dans une logique concrète et plus proche de la réalité. On a toujours intérêt à s’articuler sur la vie quotidienne. On devrait favoriser davantage de mise en situation pratique, permettre aux jeunes de faire des essais, toucher la matière, donner un autre regard sur le métier. Ce ne sont pas les cours de maths qui vont faire en sorte que plus de gens vont aller les études et métiers STEM… Les métiers ont évolué, et souvent, la société en a une représentation tronquée». Il y a 30 ans, on imaginait que les informaticiens étaient des personnes un peu dans leur monde, qui travaillaient seules. Aujourd’hui, Paul De Sacco rappelle qu’on en est plus là, que l’on est davantage dans le collaboratif.

Il propose dès lors de favoriser les échanges entre professionnels et jeunes pourrait donner à ceux-ci une représentation différente par rapport à ces métiers, et peut-être leur ouvrir la voie vers des filières auxquelles ils n’auraient pas pensé. Et ce, d’autant qu’on se rend compte que les actions d’orientation ont peu d’impact sur les étudiants et leurs choix d’études ou de carrière, à l’heure actuelle. Il faut impérativement les adapter, notamment en organisant des visites d’entreprises, en proposant des mises en situation, en les accompagnant dans les démarches. Il faut les faire réfléchir sur ce qu’ils ont vu, fait ou ressenti, de manière à amener une plus-value. Frédéric Nils va plus loin, en proposant de croiser les secteurs. «On sait par exemple que les jeunes sont sensibilisés à la question climatique. On peut se servir de ce levier pour les sensibiliser aux métiers techniques, en organisant des activités ludiques, telles que la création d’un robot, la mise au point de procédés pour produire de l’énergie, etc.»

Mais s’il est crucial de sensibiliser les jeunes et de les mettre en contact direct avec le monde professionnel, leurs parents et leur entourage sont également visés. «On constate que le rôle des parents est très important dans le choix de l’orientation des jeunes, précise Paul De Sacco. Même pour des éléments dont ils ignorent eux‑mêmes les tenants et aboutissants… Les métiers évoluent, les parents ne sont pas toujours au courant de ces évolutions. Les représentations sont parfois tronquées. Il faut donc mener des actions ciblées, qu’ils soient interpelés dans leur rôle, qu’ils sachent que leur vision peut avoir un impact sur la vision de leurs enfants».

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