Technologie

L’hydroptère:
le bateau volant

Virginie CHANTRY  •  virginie.chantry@gmail.com

Eric Lopez/Flickr, © FRANCIS DEMANGE/Seabubbles, Phil Sangwell/Flickr, Serge/Flickr,
© Denis COUVET/HYDRAO

Dans les (grandes) villes actuelles, les moyens de transport ne manquent en général pas. Trains, bus, bus touristiques «Hop On Hop Off» (montée et descente à volonté), trams, métros, taxis, navettes fluviales, trottinettes électriques ou vélos en libre-service, … permettent de se rendre d’un point A à un point B de façon plus ou moins directe pour un prix plus ou moins raisonnable. Certaines villes d’eau ont également en vue un moyen de transport supplémentaire: l’hydroptère, un genre de «bateau volant»  

  

L’objectif originel de son invention, qui remonte à la deuxième moitié du 19e siècle et au début du 20e, était de gagner de la vitesse, les puissances motrices disponibles étant alors ­fortement limitées. Ensuite, les performances des moteurs ont commencé à s’améliorer pour finir par exploser, et l’intérêt pour ­l’hydroptère est retombé, sauf dans certains milieux ­d’aficionados ou de chasseurs de records de vitesse. De nos jours, les moteurs à combustion et leur pollution ne sont plus toujours les bienvenus et risquent bien de l’être de moins en moins. Les solutions électriques sont davantage privilégiées. Et c’est là que l’hydroptère refait son apparition pour gagner en rapidité de déplacement. Il a donc ­probablement un bel avenir devant lui. Montons à bord de cet engin dont le concept peut sembler légèrement futuriste, et voyons de quoi il retourne, exemples à l’appui.

Provenant du grec hydros qui signifie «eau» et ­pteron qui signifie «aile», l’hydroptère est un bateau qui possède une «aile aquatique», au sens étymologique du terme. En réalité, l’hydroptère est doté de plusieurs ailes (ou foils/hydrofoils ou encore dérives portantes) attachées en-dessous ou sur les côtés de la coque. À l’aide d’un système de pro­pulsion ou par effet du vent (voilier), l’hydroptère se déplace sur l’eau et prend de la vitesse. Lorsque la vélocité est supérieure à une certaine limite dépendant entre autres de la masse totale (équipage compris) de l’engin ainsi que du profil des foils, la portance dynamique des ailes immergées ­(pensez à la ­portance des ailes d’un avion dans l’air, ici le principe est le même mais le milieu est l’eau et non l’air) devient alors suffisante pour que la coque se soulève et ne soit plus en contact avec l’eau, d’où son surnom de «bateau volant». On dit alors que l’hydroptère a «déjaugé».

  

Un petit bout d’histoire

À l’origine, l’hydroptère est envisagé pour pouvoir se déplacer plus rapidement sur l’eau qu’avec un bateau classique et ce, en minimisant le contact entre la coque et l’eau. Ce concept de diminution de la résistance (et des phénomènes de traînée en général) pour gagner en vitesse était déjà étudié au 19e siècle par certains précurseurs. Le premier est probablement l’Anglais Thomas Moy, membre de l’Aeronautical Society, qui, en 1861, fait se ­soulever hors de l’eau un canot sur le Surrey Canal grâce à 3 foils horizontaux ­installés sous la coque. Pour gagner en vitesse, l’engin est ­remorqué depuis la rive. Son but initial est de tester des ailes pour un aéronef. En 1897, le futur aviateur et comte ­d’origine française, Charles de Lambert, et Horatio Phillips, un Anglais féru ­d’aéronautique, effectuent des essais sur la Tamise avec un catamaran doté de foils et autopropulsé (une première) par un moteur à vapeur récupéré sur un avion. En 1904, de Lambert remet le couvert mais cette fois avec le premier «hydroptère» à moteur à explosion. Et les exemples du genre ne manquent pas au cours des 19e et 20e siècles, que ce soit en France, en Italie, en Grande-Bretagne, au Canada ou encore, aux États-Unis. L’objectif poursuivi était alors d’étudier, non pas les hydroptères en tant que tels, mais les possibilités de faire décoller un avion depuis la surface de l’eau, idée qui a finalement été abandonnée au profit des flotteurs dont sont dotés les hydravions. Malgré tout, ­certains essais furent concluants, d’autres net­tement moins. En effet, les hydroptères de l’époque se révèlent ­souvent ­instables quand l’eau est ­agitée. Les ailes, de position (avant, arrière, centrale, latérale) et de configuration très variables selon les modèles étudiés, prennent alors toutes sortes de forme (en échelle, transversales, en V, en T, en L,…) et sont réalisées en matériaux très divers (bois, aluminium, acier,…). Certains modèles ont fait leurs preuves au niveau efficacité de ­portance, stabilité et vitesse, alors que d’autres ne sont plus du tout utilisés. Dans le dernier quart du 20e siècle, l’avènement de matériaux légers et résistants donne un coup de pouce. Mais les ­progrès techno­logiques ­réalisés en hydrodynamique et en motorisation n’encouragent plus le dévelop­pement d’hydroptères, beaucoup plus coûteux que des navires classiques, globalement plus fragiles et moins facilement contrôlables. Cependant, les voiliers étant limités en vitesse, ­l’intérêt pour les foils persiste dans ce domaine. De ­nombreux records sont ­d’ailleurs battus grâce aux hydroptères, notamment le 4 septembre 2009, par le navigateur français Alain Thébault sur l’Hyères, dans le Var. Avec son tri­maran Hydroptère, il atteint une vitesse moyenne de 51,36 nœuds (95,12 km/h) sur 500 m (record depuis lors battu à plusieurs reprises), avec une pointe à 55,5 nœuds (presque 103 km/h). Il est l’un des 2 fondateurs de SeaBubbles, dont on vous parle ci-dessous.

Lorsque l’hydroptère atteint une vitesse suffisante dépendant de différents paramètres dont sa masse totale, sa coque se soulève de l’eau et on dit alors qu’il a déjaugé.