Chimie

Deux pionnières américaines de l’écologie moderne

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

©David Talukdar/Shutterstock , ©belgaimage/SCIENCESOURCE, © CSP_molekuul

Les chimistes se sont résolument penchés sur les problèmes environnementaux liés au développement industriel à la suite, principalement, des travaux de deux Américaines peu connues en Europe. Voici l’étonnante histoire du dichlorodiphényltrichloroéthane ou DDT

Du DDT est pulvérisé sur un marché aux poissons pour prévenir les maladies d’origine hydrique, à Guwahati (Inde) en janvier 2019, où plusieurs cas de dengue ont été signalés.

  

L’une de ces scientifiques, Rachel Carson (1) (1907-1964), était une naturaliste diplômée de l’Université Johns Hopkins (Baltimore, Maryland), qui commença sa carrière au U.S. Bureau of Fisheries (Bureau des pêches) avant d’écrire divers livres concernant la mer ainsi qu’un autre ouvrage célèbre paru en 1962: Silent Spring, «Le printemps silencieux» en français. Dans celui-ci, elle décrit les dommages que provoque l’usage inopportun du DDT à des fins agricoles, car ce polluant organique se bioamplifie dans toute la chaîne alimentaire. Les molécules de DDT s’accumulent en effet dans les tissus adipeux et entraînent par ailleurs la mort des poissons et des oiseaux (particulièrement les oiseaux chanteurs (2), d’où le titre de son ouvrage), tout en étant à l’origine de cancers et autres aberrations génétiques chez l’homme. Par ses écrits, avalisés notamment par le Science Advisory Committee du président John F. Kennedy, Rachel Carson a également sensibilisé les industriels de la chimie au problème de la préservation de l’environnement, comprenant en cela la faune – notamment océanique – qui s’y développe. À ce titre, on la considère comme la pionnière de l’écologie moderne. Le terme «écologie», pour rappel, a été créé par un naturaliste allemand, Ernst Haeckel (1834-1919), pour désigner la science étudiant la relation des organismes avec le monde environnant.

Rachel Carson mourut 2 ans après la parution du livre qui fit sa renommée, étant atteinte d’un cancer. Elle put malgré tout constater que les mentalités commençaient à évoluer.

  

En 1967, diverses personnes s’associèrent pour créer l’Environmental Defense Fund (EDF) qui mènera plus tard à l’interdiction du DDT aux États-Unis. En outre, 2 programmes ont démontré à quel point les mentalités ont changé à la suite de la parution du livre de Rachel Carson: le Earth Day (Jour de la Terre) a vu le jour dès le 22 avril 1970 d’une part et d’autre part, un programme appelé Responsible Care (Gestion responsable) est lancé en 1988 afin d’aider l’industrie chimique à améliorer la gestion sûre des produits chimiques.

Molécule de DDT:
Hydrogène (Blanc), Carbone (Gris), Chlore (Vert)

Molécule miracle ou poison ?

Le DDT, ou plus précisément 1,1,1-trichloro-2,2-bis(4-chlorophényl)éthane, est une molécule synthétisée dès 1874 à partir de chloral (ou trichloroéthanal), lui-même résultant de la chloration de l’éthanol.

Les puissantes propriétés insecticides et acaricides de ce composé furent mises en évidence en 1939 par le docteur Paul Müller, qui travaillait à l’époque chez J. R. Geigy à Bâle, ce qui lui valut le prix Nobel en 1948. Employée tout d’abord contre les mites, cette molécule tuait également les doryphores (qui s’attaquent aux cultures de pommes de terre) et les poux (qui véhiculent le bacille du typhus exanthématique). L’emploi du DDT a également permis de sauver d’innombrables vies au cours du demi-siècle passé, en particulier en annihilant l’anophèle, à savoir un moustique dont la femelle peut transmettre l’hématozoaire responsable du paludisme. Cette maladie, jadis appelée malaria, concerne des centaines de millions de personnes dans le monde. Chaque année, plus de 2 millions d’enfants en meurent, souvent avant l’âge de 5 ans.

Bien que la toxicité de cette substance soit relativement faible vis-à-vis des êtres humains, il apparaît que le DDT est très résistant en ce qui concerne sa biodégradation. Son accumulation dans la chaîne alimentaire – on en retrouve même dans la graisse des ours polaires ! – fait de cette molécule une substance à risque pour les poissons et les oiseaux: c’est pourquoi son usage est interdit depuis 1972 par la U.S. Environmental Protection Agency (EPA), hormis pour des raisons médicales. Ainsi, la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, effective depuis 2004, vise à interdire le DDT. Cette substance ne peut plus être employée qu’à l’intérieur des habitations (afin de limiter les dommages écologiques) pour lutter contre les vecteurs de maladies en attendant que d’autres insecticides, moins toxiques et tout aussi efficaces, soient découverts. On se doit aussi de signaler qu’une résistance des insectes vis-à-vis du DDT semble apparaître progressivement.

L’autre pionnière, Alice Hamilton (1869-1970), a véritablement créé la toxicologie industrielle outre-Atlantique. Docteur en médecine diplômée de l’Université du Michigan, Alice Hamilton s’est plutôt orientée vers la pathologie et la bactériologie. Ceci lui permit de comprendre l’incidence élevée de la fièvre typhoïde et de la tuberculose chez les immigrés affaiblis par des conditions de travail éprouvantes. Elle professa dans diverses universités américaines – dont Johns Hopkins et Harvard (elle fut d’ailleurs la première femme à y être nommée !) – tout en se préoccupant de l’origine des maladies professionnelles, un secteur de la santé méconnu à l’époque. C’est ainsi qu’elle souligna les dangers des colorants à base d’aniline, du plomb tétraéthyle (3), du benzène, du monoxyde de carbone, du sulfure d’hydrogène etc.

Dans ce contexte, il faut savoir que la Wallonie a initié, dès 2001, la mise en œuvre des directives européennes «Oiseaux» et «Habitats»: le réseau Natura 2000 y est chargé d’assurer la sauvegarde du patrimoine naturel en préservant la qualité environnementale.

Alice Hamilton, la première Américaine qui, en tant que médecin, consacra sa vie aux maladies professionnelles et, notamment, en rapport avec l’industrie chimique. 

  

(1) Un bâtiment de l’unité Physico-chimie et résidus des produits phytopharmaceutiques et des biocides du Centre wallon de Recherches agronomiques situé à Gembloux porte son nom.

(2) En amincissant la coquille de leurs œufs
(à cause d’une mauvaise absorption de calcium) et en décimant un grand nombre des insectes dont ils se nourrissent.

(3) Les qualités antidétonantes du plomb tétraéthyle furent découvertes chez General Motors par Thomas Midgley, cette molécule empêchant les moteurs de cogner en raison d’un auto-allumage prématuré. Ce chimiste découvrit également les Fréons (c’est-à-dire des chlorofluorocarbures), servant de frigorigène et de gaz propulseur. Ces 2 molécules furent interdites par la suite parce qu’elles dégradent l’environnement.

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