L'Adn de…

Fany
BROTCORNE
Primatologue

Propos recueillis par Nadine SAHABO • nadinesah@yahoo.fr

F. BROTCORNE

Primatologue,
c’est une vocation que vous avez depuis toute petite ?

J’ai grandi entourée d’animaux. Mais l’idée de mieux comprendre les animaux sauvages, de les préserver et de «cohabiter» avec eux a naïvement commencé à naître suite à la lecture du roman Le lion de Joseph Kessel, qui décrit la relation privilégiée entre un lion et une petite fille au Kenya. Mon attrait pour les primates a lui débuté avec le film Gorilles dans la Brume dans lequel Sigourney Weaver incarne brillamment l’œuvre de Dian Fossey, une des premières primatologues de terrain qui a dédié sa vie, au sens propre, à l’étude et la conservation des gorilles de montagne. Ce film m’a permis de cristalliser l’idée qu’étudier le comportement des animaux sauvages pouvait être un vrai métier ! Idée qui s’est confirmée au fil de mes études, lors desquelles je profitais de la moindre occasion pour m’instruire en éthologie, rédiger des rapports sur les primates, jusqu’à réaliser ma première expérience concrète de recherche en primatologie avec mon mémoire à Strasbourg.

La primatologie étant par essence une science pluridisciplinaire, les voies pour y parvenir sont assez variées. La plus fréquente est la biologie, mais la psychologie (cognitive), l’anthropologie biologique, les études de bioingénieur ou les sciences vétérinaires peuvent également y mener. Pour ma part, j’ai eu un parcours un peu en dehors des sentiers battus. J’ai d’abord fait des études de psychologie à l’ULB en sélectionnant l’orientation neurosciences afin de toucher au plus près du comportement et de la psychologie comparée. Après un mémoire sur les comportements collectifs des singes capucins au Centre de Primatologie de Strasbourg, je souhaitais réaliser une thèse en primatologie mais cela nécessitait une formation complémentaire. J’ai donc suivi un DEA en Biologie des Organismes et Écologie à l’ULiège où j’ai rencontré mon mentor, Marie-Claude Huynen, qui dirigeait le Groupe de recherche en Primatologie (centre unique en Belgique francophone). C’est lors d’un second mémoire, réalisé en Thaïlande, que j’ai commencé à développer un des fondements clé de mes recherches: la question des impacts anthropiques (d’origine humaine) sur l’écologie, le comportement et la conservation des primates en milieu naturel. J’ai poursuivi par une thèse à l’ULiège sur les réponses éco-comportementales des macaques crabiers vivant dans des environnements modifiés par l’homme à Bali en Indonésie. J’ai ensuite réalisé un postdoctorat avec l’Université de Lethbridge au Canada sur un comportement culturel unique chez les macaques, celui du vol et du troc «objet contre nourriture». C’est suite à cela que j’ai eu l’opportunité d’être engagée comme assistante à l’ULiège afin de succéder à Marie-Claude Huynen au sein du Groupe de Recherche en Primatologie.

Comment devient-on primatologue ?

Vous travaillez actuellement comme assistante au Département de
Biologie-Écologie-Évolution (Faculté des Sciences) de l’ULiège, quelle est
votre journée-type ?

Il n’y en a pas. Le métier d’enseignant-chercheur nous amène à jongler en permanence entre les missions d’enseignement et les activités de recherche. Ces dernières couvrent le travail de terrain pour la collecte des données, la mise en place des protocoles de recherche, les analyses de données, les publications, l’encadrement des (post-) doctorants, la recherche de financement, la dissémination des résultats dans les congrès et conférences… Pour ce qui est de l’enseignement, c’est passionnant de pouvoir transmettre les concepts, techniques et challenges propres à notre discipline, et d’autant plus crucial vu l’urgence de la situation en termes de conservation de la biodiversité.

Spontanément, j’évoquerais un sentiment d’utilité, de responsabilité et d’abnégation. Je m’oriente de plus en plus vers des projets scientifiques appliqués, car même s’il s’agit de petites avancées concrètes à un niveau local, cela fait une différence perceptible. Quant aux souvenirs, je n’ai pas grandi dans une famille de scientifiques mais mon grand-père était passionné d’hydrographie. Je me souviens de lui travaillant minutieusement sur la cartographie complète des fleuves et cours d’eau de Belgique, juste pour satisfaire sa curiosité scientifique.

Quels sont vos rapports avec la science ? Quels sont vos premiers souvenirs
«scientifiques» ?

Quelle est la plus grande difficulté rencontrée dans l’exercice de votre métier ?

Sans aucun doute la difficulté de trouver des financements suffisants pour nos recherches dans le domaine de la biodiversité. C’est un travail sans fin, avec des opportunités limitées et un taux moyen de succès relativement bas compte tenu du nombre de demandes par rapport aux offres disponibles. 

Tout d’abord, je dirais simplement d’être arrivée où j’en suis malgré un parcours un peu atypique. Même si la route est encore longue, c’est aussi important de regarder derrière soi et valoriser chaque petite réussite quotidienne. Mais plus précisément, je suis particulièrement fière des projets concrets de gestion des conflits homme-primate que nous menons sur le terrain en synergie entre les collaborateurs vétérinaires, biologistes, sociologues, et les gestionnaires et communautés locales.

Quelle est votre plus grande réussite professionnelle jusqu’à ce jour ?

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui aurait envie de suivre vos traces ?

Certainement de tester dans un premier temps si l’idée romantique que vous vous faites de la primatologie n’est pas une illusion. C’est-à-dire concrètement si vous êtes fait pour passer des heures/jours/mois/années en forêt avec parfois de faibles satisfactions, loin de vos proches, et si votre capacité de travail est suffisante. Et ensuite, ne jamais lâcher malgré les obstacles pour y parvenir et les faibles débouchés, être curieux et pluridisciplinaire, faire du volontariat dans différents centres de recherche, voyager, networker, promouvoir la mobilité internationale et vous investir dans vos études. 
  

 

CARTE D’IDENTITÉ

Fany Brotcorne

ÂGE : 38 ans

SITUATION FAMILIALE : mariée

PROFESSION : assistante et chercheuse à l’Université de Liège

FORMATION : Doctorat en sciences (Biologie des Organismes et Ecologie)

MAIL : fbrotcorne@uliege.be

Je vous offre une seconde vie pour un second métier…

Vétérinaire ! Bien que la réponse fasse très cliché, c’est pourtant exactement ça ! (Rires). J’adore mon métier, mais j’adorerais aussi pratiquer les aspects techniques et pratiques du métier de vétérinaire, poser des actes minutieux et précis qui font la différence sur les conditions de vie des animaux et leur bien-être. 

Être polyglotte mais au sens large: pouvoir décrypter un maximum de langues mais surtout de modes de communication, humaine et animale. La base de mon métier c’est l’observation, l’outil-clé pour comprendre les mécanismes, les modes de vie et les capacités cognitives des animaux, mais on se heurte invariablement à la limite de nos «réalités», de nos perceptions et de ce qui nous est concevable. Sinon, je ne dirais pas non à un super-cerveau et une mémoire infinie afin de pouvoir tout connecter !

Je vous offre un super pouvoir…

Je vous offre un auditoire…

J’y parlerai de coexistence avec la faune sauvage, de crise de la biodiversité, de la nécessité de changer les mentalités sur le vivre ensemble et de l’importance de chaque élément dans un écosystème, de tolérance et de solidarité…

J’inventerais une équation «remède» pour enrayer l’érosion de la biodiversité, la perte des habitats naturels et limiter l’impact des changements globaux sur nos écosystèmes…

Je vous offre un laboratoire…

Je vous transforme en un objet du 21e siècle…

Je crois que je choisirais… un piano. Pour le pouvoir apaisant et bénéfique que ces mélodies nous procurent, pour un retour aux choses simples.

Sans plus attendre, je m’envolerais en Indonésie, proche des primates ! Pour continuer nos projets de recherche à long terme qui ont beaucoup souffert de la crise sanitaire.

Je vous offre un billet d’avion…

Je vous offre un face à face avec une grande personnalité du monde…

Ma mère, Jacqueline Houssa. Elle est décédée du Covid au début de la pandémie sans qu’on puisse la serrer une dernière fois dans nos bras. Elle était infirmière et mère de 3 filles aux ambitions débordantes. Elle fait partie de ces héros du quotidien sans qui rien ne serait possible.

Que du contraire ! Étudier nos plus proches cousins sur le plan phylogénétique, c’est comprendre nos origines, notre histoire évolutive, et aussi nous permettre de faire preuve d’humilité quant à notre sentiment d’être(s) unique(s) et exceptionnel(s). Ceci étant dit, à titre personnel, comprendre notre espèce n’est pas la raison qui m’anime dans mes recherches. Je suis au contraire convaincue de l’intérêt intrinsèque que représente l’étude d’une société de primates en tant que telle, notamment pour les multiples fonctions écologiques qu’ils assurent d’un point de vue écosystémique et les rôles qu’ils jouent dans ce tout auquel nous appartenons et que nous impactons tant par nos activités. 

La question «a priori»: Le métier de primatologue, c’est étudier le comportement
des primates non humains. Une science qui, a priori, n’apporte pas de
connaissances fondamentales à l’homme…

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