Espace

Euclid, la relativité générale d’Einstein remise en question ?

Fleur Olagnier • fleur.olagnier@gmail.com

© ESA, C. Carreau, © CSL, © ESA–S. Corvaja

Ce mois de juillet, un nouveau télescope spatial va s’envoler au point de Lagrange L2, tout proche du James Webb Space Telescope. Nommé Euclid, le satellite a la particularité d’observer sur un champ très large, ce qui va lui permettre d’obtenir de très fines images de quasiment tout le ciel. De fil en aiguille, l’objectif est de déterminer la répartition de la matière noire et les propriétés de l’énergie noire dans l’Univers, pour ainsi affiner les modèles cosmologiques existants. Des découvertes qui pourraient remettre en question pas moins que la loi de la gravitation de Newton, ou même la théorie de la relativité générale d’Einstein… 

Plus petit que Hubble et que le James Webb Space Telescope (JWST), mais ne vous fiez pas à sa taille, l’observatoire spatial Euclid s’apprête à révolutionner la cosmologie. Avec un décollage prévu ce mois de juillet, le télescope sera bientôt voisin du JWST qui observe le ciel depuis l’été dernier à partir du point de Lagrange L2, à 1,5 million de kilomètres de la Terre. À l’étude depuis près de 20 ans et accepté par l’Agence spatiale européenne (Esa) en 2011, Euclid a pour objectif principal d’observer dans l’infrarouge et le visible les galaxies sur un tiers de la voûte céleste. Ce très large champ est son principal atout. Pendant une durée nominale de 6 ans, le satellite va s’intéresser à la matière noire et à l’énergie noire dans l’Univers. En fonction de ses découvertes, ce petit télescope pourvu d’un miroir de 1,2 m de diamètre pourrait bien faire basculer… la théorie de la relativité générale d’Einstein ! «Il y a vraiment le risque que le modèle cosmologique actuel s’effondre avec les résultats d’Euclid», lance Dominique Sluse, astrophysicien spécialiste des lentilles gravitationnelles à l’Université de Liège. 

Des tests fondamentaux en Belgique

Euclid va être lancé par une fusée Falcon 9 de SpaceX. C’est la première fois que la société d’Elon Musk envoie un engin spatial au point de Lagrange L2, le plan initial d’utiliser un Soyouz ayant été compromis par la guerre en Ukraine, et le plan B de se tourner vers Ariane 6 ne rentrant pas dans les délais. C’est en Belgique, au Centre spatial de Liège (CSL), que le télescope a subi une série de tests fondamentaux. Le maître d’œuvre d’Euclid, Airbus Defense and Space à Toulouse, a choisi le centre belge pour ses pots vibrants en environnement ultra-propre (de classe ISO 5), une installation assez rare, et sa cuve de 5 m de diamètre elle aussi normée ISO 5. «Notre principale force est le couplage entre ces installations et notre expertise en optique spatiale et en analyse thermique et cryogénique», assure Christophe Grodent, directeur commercial du CSL.

Le centre belge a effectué les essais de vibration des 2 instruments d’Euclid: l’imageur en lumière visible VIS et le spectro-imageur infrarouge NISP. «Ces tests ont permis de reproduire les contraintes vibratoires induites par le lancement, pour s’assurer que les instruments résisteront mécaniquement et fonctionneront nominalement une fois à destination», explique Christophe Grodent. De plus, le CSL a réalisé le test de l’instrument scientifique complet dans sa cuve de 5 m de diamètre. «Nous avons conçu et fabriqué un set up de test pour refroidir à -250 °C les panneaux thermiques qui entourent l’instrument et ce, pendant 60 jours en continu. Nous avons ainsi vérifié la résistance d’Euclid aux conditions spatiales», complète Christophe Grodent. 

1. La résistance aux vibrations des deux instruments d’Euclid a été testée en Belgique

2. Le satellite Euclid a subi plusieurs séries de tests au Centre spatial de Liège (CSL)

Un très très grand champ

Pas moins de 1 500 chercheurs issus de 300 laboratoires en Europe et une quarantaine de scientifiques aux États-unis sont impliqués dans la mission et attendent avec impatience les premières images du télescope qui devraient nous parvenir en octobre. «La caractéristique principale d’Euclid est d’être capable de regarder de très grandes régions du ciel en une seule observation, c’est-à-dire en une seule image, précise Dominique Sluse. Ainsi, 5 jours d’observations d’Euclid seulement devraient correspondre à 30 ans d’images obtenues par Hubble ! Le télescope va observer avec le Soleil dans son dos pour garantir une température constante et donc d’excellentes stabilité et qualité d’image. Même si la finesse de l’image sera un peu inférieure à celle de Hubble, combinée au très grand champ de vision, cela va permettre de réaliser des mesures ultrafines de la forme des galaxies avec une précision inégalée».

Objectif: déterminer de manière précise et complète comment les galaxies se répartissent dans l’espace à différents âges, en remontant jusqu’à il y a environ 10 milliards d’années (quand l’Univers en avait 3,8 milliards). Autrement dit, on souhaite cartographier l’Univers en 3D à un âge donné et sur une très grande région du ciel. Le but est aussi de voir comment les galaxies et les grandes structures qu’elles forment, les amas, évoluent au cours du temps.

«La forme des galaxies est fondamentale pour déterminer l’effet de lentille gravitationnelle faible, c’est-à-dire l’effet perturbatif qui fait que les objets lointains nous apparaissent déformés, comme lorsqu’on regarde au travers du pied d’un verre à vin, image Dominique Sluse. L’étude précise de cet effet va nous donner des informations détaillées sur la distribution de masse lumineuse… et non lumineuse ! C’est-à-dire la matière noire.» En combinant ce sondage de la matière noire et les statistiques de distribution à grande échelle des galaxies, les scientifiques vont pouvoir contraindre les paramètres cosmologiques et la distribution de matière afin d’améliorer les modèles cosmologiques. À noter que tout cela ne serait pas possible sans le spectromètre infrarouge d’Euclid, et la complémentarité avec les instruments au sol pour déterminer de façon précise la distance des galaxies.

 
L’énergie noire, clé de l’Univers en expansion accélérée ?

Outre la matière noire, Euclid a pour objectif de contraindre la nature de l’énergie noire et de déterminer son origine, donc indirectement de prouver son existence. D’après les théories actuelles, c’est en raison de cette énergie noire que l’Univers est aujourd’hui en expansion accélérée; alors que si l’on compare l’Univers à un gâteau aux raisins qui gonfle dans le four – les raisins sont les galaxies qui s’éloignent les unes des autres – il devrait grandir de moins en moins vite puisqu’il contient de moins en moins d’énergie par unité de volume. «Nous allons essayer d’estimer l’importance de l’énergie noire à différents moments dans le temps pour voir si elle est constante ou si elle varie, décrypte Dominique Sluse. Cela pourrait remettre en question la théorie de la relativité générale d’Einstein, dans laquelle il n’y a pas d’énergie noire au sens strict mais une constante cosmologique pour expliquer l’expansion accélérée de l’Univers. Dans une autre hypothèse, c’est la théorie de la gravitation qu’il faudrait remanier.»  Les chercheurs de l’Université catholique de Louvain et de l’Université libre de Bruxelles s’intéressent notamment à ces modèles alternatifs de gravitation.

Parallèlement, Euclid va s’attaquer à plusieurs autres axes de recherches. À l’Université de Gand, plusieurs scientifiques vont s’intéresser aux galaxies proches et aux galaxies naines observées par Euclid. Dominique Sluse, quant à lui, espère découvrir de nouveaux objets célestes grâce au grand champ du télescope. Il vise par exemple les quasars et les galaxies lentillés, pour lesquels on a plusieurs images d’arrière-plan dues à un effet de lentille gravitationnelle fort. Ces objets sont très rares car l’effet de lentille gravitationnelle fort ne se produit que dans la configuration bien spécifique où les objets d’avant-plan et d’arrière-plan sont parfaitement alignés. Cela va sans dire, l’impatience des scientifiques est palpable.


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Mais encore…

La Nasa dévoile les 4 astronautes qui feront le tour de la Lune l’année prochaine

Les Américains Reid Wiseman, Victor Glover et Christina Hammock Koch, ainsi que le Canadien Jeremy Hansen, formeront l’équipage de la mission Artémis 2 qui doit se rendre autour de notre satellite naturel en novembre 2024. C’est la première fois qu’une femme et qu’un Afro-américain (Victor Glover) vont côtoyer l’environnement lunaire. Le commandant de la mission Reid Wiseman et ses 3 acolytes seront les premiers êtres humains à voyager jusqu’à la Lune depuis la dernière mission Apollo en 1972. Les astronautes qui n’ont pas été sélectionnés peuvent toujours espérer prendre part à la mission suivante Artémis 3, qui prévoit un atterrissage sur la Lune fin 2025.

Le JWST offre un premier et très attendu résultat concernant le système Trappist-1

Trappist-1 se compose de 7 planètes de type Terre en orbite autour d’une étoile naine rouge à 40 années-lumière de nous. L’étude de ce système est l’un des objectifs prioritaires du télescope spatial James Webb, et la première découverte a été communiquée dans la revue Nature: la planète Trappist-1b serait dépourvue d’atmosphère. Cette planète est la plus proche de l’étoile et présente toujours la même face à son étoile. Les scientifiques ont mesuré la température du côté «jour», qui est plus élevée qu’elle ne le serait si une atmosphère permettait de redistribuer la chaleur vers le côté nuit. Cette mesure de température réalisée par l’instrument MIRI, le seul à observer l’Univers dans l’infrarouge moyen, est une prouesse.

(Voir article Athena n° 353, pp. 56-58)

Oumuamua: le premier objet interstellaire découvert serait finalement une comète

Depuis sa découverte il y a 5 ans, les scientifiques tentent de déterminer la nature d’Oumuamua. Les hypothèses se sont démultipliées, l’explication la plus immédiate qu’Oumuamua est une comète étant contredite par sa couleur tirant vers le rouge et une forme intermédiaire entre un «cigare» et un «pancake» qui ne possède pas de queue caractéristique. Toutefois, une nouvelle théorie publiée dans la revue Nature avance que l’objet est finalement bel et bien une comète ! Oumuamua aurait été éjecté de l’emprise gravitationnelle de son étoile puis «jeté» dans le milieu interstellaire. Une exposition prolongée au rayonnement cosmique aurait alors transformé ses molécules d’eau en hydrogène moléculaire. Piégée, cette glace d’hydrogène se serait ensuite sublimée en s’approchant de notre Soleil: la transformation en gaz aurait créé une poussée suffisamment importante pour accélérer Oumuamua aux valeurs mesurées ! Selon cette hypothèse, pas de halo ou de traînée car seul l’hydrogène moléculaire est expulsé, et non de plus grosses molécules entraînant des particules de poussière observables.

(Voir Athena n° 351, pp. 56-58)

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