Qui est-ce?

Lise MEITNER

Jacqueline REMITS• jacqueline.remits@skynet.be

 
Je suis…

L’une de ces femmes dont les apports à la science ont été minimisés, voire ignorés. Née à Vienne, dans une famille juive intellectuelle, je suis la 3e d’une fratrie de 8 enfants, 5 filles et 3 garçons. Mon père est l’un des premiers avocats juifs en Autriche. Nos parents aux idées libérales nous donnent une éducation intellectuelle stimulante et nous encouragent à poursuivre des études supérieures. Mes sœurs et moi bénéficions d’une scolarité plus avancée que la moyenne des filles autrichiennes dont la scolarité s’arrête alors à 14 ans. En Autriche, l’université s’ouvre aux filles en 1897. Pour y être admise sans être passée par le lycée, il faut réussir l’examen Matura en tant que candidate libre. Dès 1899, je m’y prépare assidûment et, 2 ans plus tard, je suis reçue à l’Université de Vienne. En 1e année, j’apprends la physique, la chimie, les mathématiques et la botanique. Dès la 2e année, je me concentre sur la physique. Puis j’effectue mon doctorat sous la direction du professeur Exner. Ce physicien a introduit à Vienne l’étude de la radioactivité, un nouveau domaine en plein essor. Mon sujet porte sur un autre thème, la conduction de la chaleur dans les solides inhomogènes. Je le présente fin 1905 obtenant la plus haute mention et décroche mon diplôme l’année suivante. En tant que femme, je ne peux prétendre à une carrière académique. Avec l’aide financière de mon père, je poursuis mes recherches. Je m’initie à l’étude de la radioactivité et de l’absorption dans les métaux des rayonnements alpha et bêta.

En 1907, je m’installe à Berlin pour suivre les cours de Max Planck. L’université n’est pas encore ouverte aux femmes, mais j’obtiens l’autorisation du professeur d’assister à ses cours. Même s’il est, en général, opposé à l’éducation des filles, il fait une exception pour moi et deviendra par la suite un important soutien. Jeune physicienne, je me fais rapidement remarquer et je reçois plusieurs offres de travail. J’accepte de collaborer sur la radioactivité avec Otto Hahn, jeune chimiste assistant à l’Institut dirigé par Emil Fischer. Ce dernier ne voit pas d’un bon œil l’arrivée d’une femme dans son institution et nous relègue, Otto et moi, dans un laboratoire au sous-sol. Peu m’importe, c’est le début d’une collaboration et d’une amitié de 30 ans. Quand Otto est engagé au nouvel Institut Kaiser Wilhelm de chimie, je l’y rejoins en tant qu’invitée, et toujours sans salaire. Mon engagement comme assistante de Max Planck sera mon premier emploi payé. En 1913, j’accepte le poste de professeur associée à Prague.

Durant les 2 premières années de la Première Guerre mondiale, je m’engage comme manipulatrice d’équipements à rayons X. En 1916, je retourne à mes recherches à Berlin. L’année suivante, je suis nommée directrice du nouveau département de physique de mon institut et je poursuis ma collaboration sur la radioactivité avec Otto Hahn. Nos statuts sont alors équivalents. Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, juive mais relativement protégée par ma nationalité autrichienne, je parviens à conserver mon poste jusqu’en 1938, tandis que de nombreux scientifiques juifs quittent l’Allemagne. Lors de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne en mars 1938, ma nationalité ne me protège plus et je décide de fuir l’Allemagne pour la Suède. J’y poursuis mes recherches dans un laboratoire de Stockholm et, secrètement, mes collaborations avec Otto Hahn et d’autres scientifiques allemands et danois que je rencontre régulièrement à Copenhague. 

À cette époque…

En 1901, l’année où j’entre à l’Université de Vienne, le 22 janvier, la reine Victoria, impératrice des Indes et de l’Angleterre, s’éteint à 81 ans. En 1938, année où je fuis l’Allemagne et découvre la fission de l’atome, le 4 mars, Hitler devient chef suprême des armées et, quelques jours plus tard, annexe l’Autriche. En 1949, quand je prends la nationalité suédoise, c’est aussi l’année de la naissance de l’Otan, alliance de défense des libertés des démocraties que les États-Unis, le Canada et plusieurs pays européens viennent de constituer. En 1966, je pars en Angleterre et, pour la première fois, les États-Unis font jeu égal avec les Soviétiques dans la conquête spatiale. La sonde lunaire Surveyor 1 se pose sur la Lune le 2 juin.

J’ai découvert…

En unissant nos compétences, Otto Hahn et moi avons découvert plusieurs isotopes, notamment le protactinium en 1918. De mon côté, j’étudie également les spectres de rayonnements bêta et gamma. En 1923, je découvre la transition non-radioactive qui prendra par la suite le nom d’effet Auger, du nom du scientifique français, Pierre Auger, découvrant cet effet… 2 ans plus tard. En 1934, avec Otto Hahn et le chimiste Fritz Strassmann, je m’implique dans le «projet uranium» qui permettra la découverte de la fission nucléaire 4 ans plus tard. À partir de 1938, depuis Stockholm, je planifie des expériences réalisées par ces 2 chercheurs à Berlin qui découvrent les effets du bombardement de l’uranium avec des neutrons et mettent en évidence la présence de baryum parmi les éléments produits lors de ce bombardement. Ils envoient ces observations à une revue scientifique. Comme c’est la Guerre, je ne peux figurer parmi les coauteurs de la publication et mon rôle, pourtant essentiel, est écarté. 

Saviez-vous que…

Peu après la découverte de la fission nucléaire, la communauté scientifique a pris conscience de la possibilité de produire une réaction en chaîne capable de libérer une quantité colossale d’énergie. L’éventualité d’une application militaire est alors apparue. Dans cette course à l’arme nucléaire, c’est le projet Manhattan, lancé à Los Alamos, qui parvint à une mise au point opérationnelle. L’on connaît malheureusement les dégâts qu’elle fera à Hiroshima et Nagasaki en 1945. Il faut savoir que Lise Meitner a refusé de participer à ce projet, ne voulant «rien avoir à faire avec une bombe». En 1946 d’ailleurs, dans une lettre à Gerta von Ubisch, elle a avoué ses regrets d’être restée en Allemagne après l’avènement du nazisme.

Elle n’a jamais reçu le prix Nobel bien qu’elle ait été nommée de nombreuses fois. L’attitude du comité Nobel n’est cependant pas représentative de l’estime que lui portaient ses collègues. Ce phénomène d’attribution des découvertes scientifiques des femmes à leurs homologues masculins se nomme l’effet Mathilda. Elle a cependant reçu de nombreuses autres distinctions. 

Décédée à Cambridge en 1968, peu avant ses 90 ans, elle repose, conformément à ses vœux, auprès de son frère Walter au cimetière de l’église St James, dans le village de Bramley (Hampshire). L’inscription sur sa tombe a été écrite par son neveu Otto Frisch: «Lise Meitner: a physicist who never lost her humanity», («Lise Meitner, une physicienne qui n’a jamais perdu son humanité»).

Différentes rues et écoles portent aujourd’hui son nom. L’Union astronomique internationale a donné son nom à deux cratères, sur la Lune et sur Vénus, ainsi qu’à un astéroïde. En 1997, le nouvel élément de numéro atomique 109 a été baptisé meitnerium à sa mémoire. La Société Lise-Meitner a été fondée en 2016 en Allemagne pour promouvoir l’égalité des femmes en sciences et mathématiques à l’intérieur et à l’extérieur de la carrière universitaire. Un prix Lise Meitner est décerné par la Société européenne de physique.

 
 

Carte d’identité

Naissance 

7 novembre 1878, Vienne (Autriche)

Décès

27 octobre 1968, Cambridge (Royaume-Uni)

Nationalité

Autrichienne et suédoise

Situation familiale

Célibataire

Diplôme 

Physique à l’Université de Vienne

Champs de recherche 

Physique nucléaire

Distinctions 

Prix Lieben (1925), médaille Max Planck (1949), prix Enrico Fermi (1966)

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