Dorothy Vaughan (à gauche) a été la première superviseure noire du NACA.

Qui est-ce?

Dorothy VAUGHAN

Jacqueline REMITS• jacqueline.remits@skynet.be

Nasa/Courtesy of Beverly Golemba

Je suis…

L’une de ces femmes de l’ombre. Ces afro-américaines méconnues de l’histoire spatiale de mon pays. Je suis née en 1910 à Kansas City, dans le Missouri, fille d’Annie et Leonard Johnson. En 1917, nous déménageons à Morgantown, en Virginie-Occidentale. Mes études secondaires terminées et passionnée de mathématiques, je bénéficie d’une bourse pour pouvoir suivre des cours à l’Université de Wilberforce à Xenia, dans l’Ohio. C’est à la suite des lois ségrégationnistes dans cet État que cette université a été fondée par des «Noirs» pour les «Noirs». À 19 ans, j’obtiens un Bachelor of Science en mathématiques. Je suis aussi membre de la sororité Alpha Kappa Alpha, la première société universitaire créée en 1908 à l’Université Howard par et pour les femmes afro-américaines. Un de mes professeurs de Wilberforce me recommande de poursuivre des études supérieures à Howard. Mais le krach boursier de 1929 entraîne une grave crise économique. Mes parents n’étant pas riches, j’opte alors pour un diplôme en éducation et une carrière dans l’enseignement, la profession la plus stable pour une femme «noire» titulaire d’un diplôme universitaire. J’enseigne les mathématiques à la Robert Russa Moton High School de Farmville, en Virginie, un établissement ouvert aux jeunes afro-américains car en vertu des lois dites Jim Crow, la ségrégation raciale est instaurée dans les écoles publiques et autres établissements de Virginie. Pendant 11 ans, je partage ma vie entre mes rôles de mère et d’épouse et ma carrière dans l’enseignement.

En 1943, nous déménageons à Newport News. Et c’est là qu’une opportunité se présente à moi. Dans le Norfolk Journal and Guide, je lis un article intitulé «Ouvrir la voie aux femmes ingénieurs». Cela résonne en moi et je réponds à des demandes d’emploi. La même année, je quitte mon poste de professeur pour occuper, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, ce que je crois être un poste temporaire, au NACA (National Advisory Committee for Aeronautics). En 1935, celui-ci a créé une section de femmes mathématiciennes qui effectuent des calculs complexes pour le programme aéronautique de l’armée américaine, la NACA’s West Area Computing Unit, dont les membres sont appelés les West Computers. Je suis affectée à la West Area Computers (Unité de calcul de la zone ouest) du Centre de recherche Langley de Hampton, en Virginie. Deux ans après que le président Roosevelt ait signé un décret interdisant la discrimination raciale, religieuse et ethnique dans l’industrie de la défense du pays, le laboratoire commence à embaucher des femmes «noires» pour répondre à la demande croissante de traitement des données de recherche aéronautique. Celles-ci sont obligées d’utiliser des salles à manger et des toilettes séparées. En revanche, les chefs sont blancs. Au fil du temps, nous nous distinguerons par des contributions à quasiment tous les domaines de recherche à Langley. 

À cette époque…

Au moment où j’entame des études pour me préparer à l’enseignement, en octobre 1929, le krach boursier à la Bourse de New York entraîne la plus grande crise économique du 20e siècle, appelée la Grande Dépression. En 1943, quand je suis engagée à la NACA, les 3 grands chefs alliés, Franklin Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline, se réunissent en novembre à Téhéran, capitale de l’Iran. Roosevelt, qui cherche à mettre fin à la guerre le plus rapidement possible, se retrouve isolé. En 1961, je poursuis ma carrière dans l’informatique avec les premiers ordinateurs, tandis que le nouveau président des États-Unis, John F. Kennedy, touche le monde entier lors de son discours d’investiture, déclarant notamment cette phrase restée célèbre: «Ne vous demandez pas ce que votre pays doit faire pour vous. Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays».

J’ai découvert…

Quand on défend les droits des femmes, on obtient des résultats. En 1949, promue à la tête du groupe des West Area Computers, je deviens la première superviseuse noire du NACA. La mathématicienne Katherine Johnson (voir Athena n° 336 de mars-avril 2018) a travaillé dans mon équipe avant d’être transférée à la Division de la recherche de Langley. Si je suis une ardente défenseuse da la cause féminine au sein de West Computing, j’interviens également dans d’autres groupes de femmes qui méritent des promotions ou des augmentations de salaire. Les ingénieurs apprécient mes recommandations quant aux meilleures collaboratrices pour tel ou tel projet. Et pour les tâches les plus difficiles, ils me demandent souvent de m’en occuper personnellement. En 1958, lorsque la NACA devient la NASA (National Aeronautics and Space Administration), les installations séparées, y compris le bureau de West Computing, sont abolies. Nous, les mathématiciennes, sommes affectées à la division d’analyse et de calcul, un groupe de travail intégré. En 1961, quand la NASA acquiert son premier ordinateur IBM, je m’oriente vers le calcul numérique. Plusieurs ordinateurs étant en mesure de résoudre d’importants calculs dans un temps bien plus court que les cerveaux humains, les femmes de West Computing deviennent inutiles et perdent leur emploi. C’en est trop pour moi. Je décide de me former afin de pouvoir enseigner aux femmes de mon secteur le codage et la programmation nécessaires au fonctionnement de ces ordinateurs. D’autant plus qu’il y a pénurie de main d’œuvre pour les faire fonctionner. Je commence l’écriture d’un ouvrage compilant les calculs d’algèbre utiles. Dans le même temps, je me spécialise dans l’électronique, l’informatique et la programmation Fortan. Je deviens experte de ce langage informatique et j’apprends à mes collègues comment traduire les formules mathématiques en code. Mon poste me permet de collaborer à la course à la Lune. Je contribue également au programme spatial dédié au lanceur SCOUT (Solid Controlled Orbital Utility Test System), un système à combustible solide à 4 étages en fusée utilisé pour lancer les premiers satellites américains en orbite autour de la Terre. Au total, 118 lancements SCOUT au taux de réussite global de 96% vaudront au programme une place au National Air and Space Museum. En 1971, à 61 ans, je prends ma retraite sans avoir obtenu un autre poste de direction à Langley. Mais je suis fière de n’avoir jamais cessé de lutter pour l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. 

Saviez-vous que…

En 1932, Dorothy Johnson (de son nom de naissance) a épousé Howard Semoure Vaughan. Ils auront 6 enfants (Ann, Maida, Leonard, Kenneth, Michael et Donald), 10 petits-enfants et 14 arrière-petits-enfants. Un de ses fils suivra ses traces en entrant également au siège de la NASA à Langley.

Un jour, pour avoir demandé à emprunter un livre sur l’informatique, elle et ses fils ont été forcés de quitter la bibliothèque. Pour apprendre les connaissances nécessaires, elle a été obligée de dérober un ouvrage à la bibliothèque municipale, les Afro-Américains n’étant pas autorisés à lire les mêmes livres que les Blancs.

Membre active de la paroisse Saint-Paul de Newport News rattachée à l’Église épiscopale méthodiste africaine, elle a participé au département de musique de la Dora Brown Missionary Society de l’église méthodiste et à son programme de secours alimentaire. 

Elle était également membre active de la Phyllis Wheatley YWCA (Young Women’s Christian Association) et de son organisation, les Silver Bells.

Dorothy Vaughan décèdera le 10 novembre 2008 à 98 ans chez elle, à Hampton. Elle repose au Hampton Memorial Gardens.

Le 15 novembre 2018, une loi a été votée au Congrès afin de lui décerner la Médaille d’or du Congrès à titre posthume pour son travail à la NASA, ainsi qu’à 2 de ses anciennes collègues, Katherine Johnson et Mary Jackson. Toutes 3 sont les héroïnes du livre Les Figures de l’ombre, de Margot Lee Shetterly, adapté au cinéma en 2017 sous le titre éponyme. C’est l’actrice Octavia Spencer qui interprète Dorothy. En 2019, un cratère lunaire a été baptisé à son nom.

 
 

Carte d’identité

Naissance : 20 septembre 1910, Kansas City (Missouri, États-Unis)

Décès : 10 novembre 2008, Hampton (Virginie, États-Unis)

Nationalité : Américaine

Situation familiale : Mariée, 6 enfants

 
 

Diplôme : Mathématiques à l’Université de Wilberforce

Champs de recherche :
Mathématiques, informatique

Distinctions : Médaille d’or du Congrès (à titre posthume)

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