Actualités

Thibault GRANDJEAN • grandjean.thibault@gmail.com

© Rusana – stock.adobe.com, © NARONG – stock.adobe.com, © BC Materials, © toopi-organics.com, ©Ave Calvar, © Iryna – stock.adobe.com

01

Prix Nobel 2023: entre ARNm et électrons

En automne tombent les feuilles et les prix Nobel. Ces prestigieuses récompenses délivrées chaque année par l’académie de Suède viennent récompenser ceux qui ont apporté «le plus grand bénéfice à l’humanité», par leurs inventions, découvertes et améliorations dans différents domaines de la connaissance.

Cette année, le prix Nobel de médecine vient récompenser les travaux de la Hongroise Katalin Kariko et l’Américain Drew Weissman, dont les travaux ont rendu possibles les vaccins à ARN messager (ARNm). L’ARNm est une copie de l’ADN qui est lue par la cellule pour être traduite en protéines. Dès les années 1980, certains chercheurs ont vu là un moyen puissant de fabriquer des vaccins. Il suffirait d’injecter au corps humain un ARNm codant pour un antigène, les protéines caractéristiques qui sont présentes à la surface des pathogènes comme les virus ou les bactéries, afin d’être directement reconnu par le système immunitaire. Malheureusement, cette technique a longtemps échoué car les globules blancs considèrent cet ARNm comme étranger, donc dangereux, et le détruisent aussitôt. Le coup de génie a consisté à remplacer une des 4 molécules qui constituent l’ARNm, l’uracile, par de la pseudouridine. L’ARNm contient alors le même message, mais passe inaperçu, et nos cellules peuvent alors le traduire en protéine avant de le présenter au système immunitaire. Facile sur le papier, moins en réalité, et il a fallu toute la persévérance de Katalin Kariko, vice-présidente de BioNTech de 2013 à 2022, face à un monde scientifique qui jugeait ses travaux peu utiles.

Place maintenant au domaine de l’infiniment petit et l’infiniment rapide. Le prix Nobel de physique vient récompenser les travaux de la Franco-Suédoise Anne L’Huillier, le Français Pierre Agostini et l’Austro-Hongrois Ferenc Krausz pour avoir développé des impulsions extrêmement courtes de lumière qui peuvent être utilisées pour mesurer les déplacements des électrons. Observer les électrons est indispensable si l’on veut comprendre comment fonctionne la matière, mais leur rapidité est telle que cela n’est longtemps resté qu’un rêve. La solution est venue d’une propriété importante des électrons: le changement d’énergie. En effet, lorsqu’on apporte de l’énergie à des électrons, par exemple via un laser puissant, ces derniers s’excitent, puis se désexcitent instantanément en relarguant l’énergie sous forme d’onde lumineuse à très haute fréquence. En mesurant la fréquence de ces ondes, on serait alors capable de les suivre à la trace. Mais comment mesurer quelque chose d’aussi petit qu’une attoseconde, la plus petite unité de temps mesurable ? Car il y a autant d’attosecondes dans une seconde qu’il s’est écoulé de secondes depuis le commencement de l’Univers ! Deux chercheurs ont réussi à créer des flashs d’attosecondes dont ils connaissaient précisément la durée. À la manière d’un stroboscope en boîte de nuit, ils peuvent alors suivre le déplacement des électrons. Grâce à ces observations précises, les chercheurs mènent de nouvelles expériences, comme casser une liaison chimique ou en recréer une ailleurs.

Le prix Nobel de chimie, quant à lui, vient récompenser le Français Moungi Bawendi, l’Américain Louis Brus et le Russe Alexeï Ekimov, pour «la découverte et la synthèse de points quantiques». Selon les lois de la mécanique quantique, chaque particule est à la fois un corps, avec une taille et une masse, et une onde, avec une intensité et une fréquence. Et c’est cette fréquence qui détermine la couleur de la lumière émise par ces particules. En emprisonnant des électrons dans une cage de quelques milliers d’atomes, on peut alors jouer sur la couleur émise en modulant la taille de la cage. Plus la cage est étroite, plus la fréquence des électrons est élevée, et la lumière tirera vers le bleu. À l’inverse, desserrer la cage les fait émettre une lumière plus rouge, et ainsi de suite avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Cette technologie est déjà à l’œuvre dans les écrans QLED, et en imagerie biomédicale.

02

L’ACTU DES LABOS

Les bourdons d’Europe ont le bourdon

En raison du changement climatique et de la dégradation des habitats, les populations d’insectes déclinent fortement en Europe. Mais si les abeilles font régulièrement la Une des pages science, il ne faudrait pas oublier d’autres insectes pollinisateurs importants comme le bourdon. Un groupe de chercheurs des universités de Mons, de Bruxelles (ULB et VUB) et de Louvain (KUL et UCLouvain) viennent de publier une étude montrant que les bourdons ont perdu plus de 45% de leur population depuis le début du 20e siècle, et que ce déclin devrait au moins durer jusqu’en 2080, en raison de la diminution d’au moins 30% de terres viables. La Scandinavie deviendrait alors une terre de refuge. En effet, les bourdons, en raison de leur adaptation au froid et contrairement aux abeilles qui ne sortent de leur ruche qu’au-delà d’une certaine température, sont particulièrement importants pour la pollinisation des cultures. En tout, près de 90% des plantes sauvages et des cultures dépendent des insectes pollinisateurs pour se reproduire. Il est donc crucial de lutter au plus vite contre ce phénomène.

   Ghisbain et al., Nature, 2023

03

Le cacao, pas si fairtrade

À l’heure actuelle, alors que la production de cacao a doublé au cours des 30 dernières années, au point de devenir un des 10 plus grands facteurs de déforestation, notamment en Afrique de l’Ouest, elle est trop peu gérée de façon durable. Selon une étude menée par des chercheurs de l’UCLouvain et de la Vrije Universiteit Amsterdam, à peine un quart du cacao commercialisé au niveau mondial est cultivé sous un mode de développement durable. Selon les chercheurs, une partie du problème vient de la concentration de cette industrie. En effet, 7 multinationales se partagent 62% du marché, et les résolutions prises ne s’attaquent pas aux vrais problèmes. Ainsi, ces firmes passent souvent par des négociants nationaux, auxquels ces engagements ne s’appliquent pas. À ce titre, selon les chercheurs, le faible taux de traçabilité et de transparence dans la filière cacao constitue un obstacle majeur: 22% seulement des négociants nationaux déclarent être en mesure de retracer ne fût-ce qu’une partie de leur cacao jusqu’aux coopératives agricoles, et seulement 8% divulguent ouvertement l’identité de leurs fournisseurs.

   Para-Paitan et al., Global Environmental Change, 2023