Chimie

Alfred Nobel et ses célèbres prix annuels

Paul DEPOVERE • depovere@voo.be

© JeanLuc – stock.adobe.com/ © Tuna salmon  – stock.adobe.com + photomontage, © Natureeye91 – stock.adobe.com, © the nobel prize

Grâce à ses recherches sur la nitroglycérine, un explosif liquide extrêmement puissant mais difficile à gérer, l’ingénieux chimiste suédois qu’était Alfred Nobel fut amené en 1867 à transformer celui-ci en pâte (dynamite), beaucoup plus facile à utiliser moyennant l’intervention d’un détonateur. Avec sa fortune, cet industriel instaura par testament divers prix considérés comme les plus hautes récompenses dans le domaine considéré, et notamment en chimie. En son hommage, le numéro atomique 102 a d’ailleurs été attribué au nobélium

 
La poudre à canon, comprenant du soufre, du salpêtre (nitrate de potassium) ainsi que du charbon de bois a été inventée par les Chinois dès le 9e siècle. Pendant des siècles, ce fut le plus puissant mélange déflagrant que l’on connaisse, jusqu’à la découverte de la nitroglycérine en 1847 par le chimiste italien Ascanio Sobrero (1812-1888), lequel travaillait sous la direction du non moins célèbre chimiste français Théophile-Jules Pelouze (1807-1867). Pelouze avait entendu parler du coton-poudre obtenu par hasard (sérendipité) en abandonnant un chiffon imbibé de traces d’acides nitrique et sulfurique. Or, ce coton-poudre, extrêmement explosible, n’est rien d’autre que de la cellulose nitrée par l’entremise de nombreuses fonctions esters. Sobrero eut alors l’idée de nitrer un substrat beaucoup plus simple, en l’occurrence du propane-1,2,3-triol (glycérol ou glycérine). Mais la nitroglycérine obtenue s’avérait encore si dangereuse à manipuler que Sobrero garda secrets ses résultats tout en recommandant de ne pas se hasarder dans ce domaine de recherches. Malgré cela, malgré diverses violentes explosions, un autre collaborateur de Pelouze, un certain Alfred Nobel (1833-1896), retourna chez lui en Suède obsédé par l’idée de rendre la nitroglycérine suffisamment stable pour être commercialisée de manière sécurisée. À cette époque, le développement gigantesque des industries et des voies ferrées exigeait des quantités croissantes d’explosifs. De surcroît, le père d’Alfred Nobel venait de fonder une fabrique d’armements près de Saint-Pétersbourg. C’est dans ce contexte compliqué par la guerre de Crimée que ce fils imaginatif décida d’employer en guise d’adjuvant une poudre fine, adsorbante, qu’on appelle de la «terre de diatomée».

Un exemple de diatomées en microscopie électronique. Ces microalgues unicellulaires sont apparues dans la mer il  y a 200 millions d’années environ et constituent l’élément majeur du plancton marin. Ces cellules sont entourées  d’une coque siliceuse finement ornementée, montrant qu’elles sont capables de fabriquer (avec art) du verre à  température ambiante, ouvrant ainsi la voie à ce qu’on appelle la «chimie douce».

Voilà comment Alfred Nobel obtint sa célèbre dynamite  (aux propriétés balistiques exceptionnelles) nécessitant, ne l’oublions pas, l’emploi d’un détonateur, ce qui lui apporta bien vite la fortune et les honneurs, malgré la persistance d’accidents (1) très graves ! En l’espace de 30 ans, Alfred Nobel édifia un véritable empire industriel. Il devint richissime, s’offrant partout des demeures luxueuses qu’il transformait en laboratoires de chimie pour son plaisir personnel ! N’ayant pas d’enfant, ce célibataire endurci légua son immense fortune à une Fondation chargée d’en distribuer les revenus sous forme des prix annuels que l’on connaît. Ainsi, le premier prix de chimie fut décerné en 1901 au chimiste néerlandais Jacobus H. van’t Hoff. Par ailleurs, pour l’anecdote, lors de la Seconde Guerre mondiale, le chimiste hongrois George de Hevesy (prix Nobel 1943), voulant éviter le vol par les Nazis des prix Nobel de Max von Laue (1914) et de James Franck (1925), a dissous les 2 médailles dans de l’eau régale. La solution ainsi obtenue, rendue de la sorte anodine et conservée à l’insu des Allemands, a permis plus tard de récupérer l’or pour refrapper les 2 médailles.

Timbre d’Alfred Nobel le présentant avec de la dynamite.

Usage médical de la  nitroglycérine

Après avoir remarqué que certains dérivés nitrés semblent soulager les crises d’angine de poitrine, un médecin de l’hôpital de Westminster, William Murrell, décida en 1878 de vérifier si la nitroglycérine en était capable. Tel fut bien le cas avec un effet bénéfique persistant environ 1h. Il est intéressant de signaler que des années après, des médecins prescrivirent de la nitroglycérine à Alfred Nobel lui-même afin de soulager ses propres crises d’angor. De fait, ce dérivé nitré agit en dilatant les vaisseaux coronariens, ce qui permet d’améliorer instantanément l’oxygénation du muscle cardiaque. Le mécanisme d’action est le suivant: placée sous la langue, la nitroglycérine y est prise en charge par les nitrate-réductases présentes dans les nombreuses bactéries, ce qui a pour effet de réduire les fonctions nitrate en nitrites. Ces derniers sont ensuite convertis en molécules de monoxyde d’azote (NO) qui sont les véritables déclencheurs de la vasodilatation. Pour avoir découvert le rôle régulateur-clé propre au système cardio-vasculaire où intervient majoritairement le NO, Robert Furchgott, Louis Ignarro et Ferid Murad reçurent le prix Nobel (2) de Médecine en 1998.

Pour terminer, on se doit de signaler que ce même NO est impliqué dans la découverte par les laboratoires Pfizer du citrate de sildénafil (Viagra), en l’occurrence un médicament préconisé pour traiter les dysfonctions érectiles (impuissance). Pour les puristes, il s’agit d’un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 qui empêche la destruction du GMP cyclique, permettant ainsi de maintenir une concentration suffisante de NO qui diffuse ensuite au niveau des cellules endothéliales des vaisseaux sanguins propres aux muscles lisses. C’est à ce niveau qu’il se produit une relaxation des myofilaments se traduisant par une vasodilatation responsable de l’érection. Au vu des sommes folles générées par ce médicament à succès, d’autres formules concurrentes ont été proposées par des laboratoires divers. Mais ceci est une autre histoire !

(1) Une explosion, particulièrement désastreuse, eut lieu en 1864 et coûta la vie à 5 personnes, dont Emil, le frère cadet d’Alfred. Ce dernier fut obligé de se réfugier dans une péniche loin de Stockholm afin de poursuivre ses recherches.

(2) Pour être précis, une 4e personne fut sélectionnée pour ce prix Nobel. Il s’agit de Salvador Moncada, un pharmacologue des Laboratoires Wellcome à Beckenham.

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