Espace

Mesure du CO2 : n’est-il pas trop tard ?

Fleur Olagnier • fleur.olagnier@gmail.com

OHB, ©Cnes, Olivier Sattler, NASA, National Institute of Environmental Studies, Japan

Aussi surprenant que cela puisse paraître, seules 4 missions spatiales ont déjà été lancées dans le but de mesurer les émissions de CO2 à l’échelle de la planète – hors projets chinois pour lesquels l’accès aux données est limité. Pourtant, au regard de l’urgence climatique, la connaissance des sources et des puits d’émission de dioxyde de carbone est indispensable. Malgré plusieurs reports, 3 missions sont enfin sur les rails: MicroCarb, CO2M et GOSAT-GW. À temps ?

Le satellite d’observation de la Terre Sentinel-7 ou CO2M (Copernicus Anthropogenic Carbon Dioxide Monitoring) développé par l’ESA dans le cadre du programme européen Copernicus.

Les émissions de dioxyde de carbone… Dans le contexte du changement climatique, ce point noir surgit tellement souvent dans les médias qu’on en viendrait presque à s’en désintéresser. Pourtant, en ce début 2024, l’enjeu de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi fondamental. Selon une étude des scientifiques du Global Carbon Project, le dépassement du seuil de + 1,5 °C de la température à l’échelle du globe est «inévitable». Il pourrait se produire d’ici seulement 7 ans, 2023 ayant été une année record avec plus de 40 milliards de tonnes de dioxyde de carbone ajoutées dans l’atmosphère.

Or, dans le cadre de la lutte contre ce réchauffement, mesurer avec précision les sources et les puits de dioxyde de carbone, de méthane ou encore de dioxyde d’azote paraît indispensable. Si l’on considère plus précisément le CO2 – principal gaz à effet de serre émis par les activités humaines – malgré l’urgence de la situation et les sonnettes d’alarmes tirées depuis plusieurs dizaines d’années déjà par les scientifiques, on ne connaît pas aujourd’hui les quantités absorbées ou émises dans certaines régions du globe, par manque de stations de mesures terrestres. 

Quatre missions seulement

Côté missions satellitaires, les instruments ne sont pas légion. Le projet pionnier en la matière date de 1996. Le satellite japonais ADEOS-I embarquait un moniteur interférométrique pour l’étude des gaz à effet de serre: IMG. Cependant, le panneau solaire a été endommagé et la mission stoppée moins d’un an après son lancement. Développés à la suite de la signature du protocole de Kyoto (1), les satellites GOSAT-1 et GOSAT-2, japonais également, ont décollé respectivement en 2009 et 2018. GOSAT-1 a été le premier satellite à effectuer des mesures systématiques des concentrations de dioxyde de carbone (et de méthane) depuis l’espace sur plusieurs milliers de points de l’atmosphère terrestre. En 2014, la Nasa a lancé le satellite OCO-2, qui relève encore aujourd’hui la distribution géographique des sources de dioxyde de carbone et des puits de carbone naturels à une échelle régionale.

Ces 3 missions ont permis d’améliorer la compréhension du cycle du carbone, ainsi que des processus naturels et des activités humaines qui contribuent à modifier l’abondance et la distribution géographique des gaz à effet de serre. Mais 4 satellites (3 si l’on oublie IMG), ce n’est pas suffisant. À l’heure actuelle, on ne sait toujours pas si les principaux puits de carbone de notre planète sont les forêts tropicales ou les océans. On ne sait pas non plus exactement combien de tonnes de CO2 sont émises par chaque grande ville, la végétation et les mers. Ni comment toutes ces valeurs évoluent au fil des saisons… C’est là que MicroCarb, CO2M et GOSAT-GW entrent en scène.

Repoussé plusieurs fois depuis 2020, le lancement de MicroCarb par le Centre national d’études spatiales français (Cnes) devrait avoir lieu en 2025. Ce microsatellite permettra de cartographier la totalité des sources et des puits de CO2 à l’échelle planétaire. Des informations cruciales pour comprendre les origines et les impacts du changement climatique. 

1. MicroCarb est une future mission spatiale de l’agence spatiale française (CNES).

2. L’Orbiting Carbon Observatory (OCO) est un satellite de télédétection de la NASA. Après la perte du 1er exemplaire en 2009, le second, baptisé OCO‑2, a été placé en orbite avec succès en 2014.

Première européenne

Actuellement en intégration chez Thales Alenia Space à Harwell (Royaume-Uni), le satellite analysera les rayons du Soleil après leur réflexion par la surface terrestre et leur remontée au travers de l’atmosphère grâce à un spectromètre à réseau. Ainsi, MicroCarb pourra extraire la concentration atmosphérique en CO2 sur l’ensemble du globe avec une précision de l’ordre de 1 molécule par million de molécules d’air (1 ppm) ! Et sur un pixel de base rectangulaire de 4,5 km par 9 km. Le petit satellite d’études des flux de CO2 sera le premier engin européen du genre.

On peut toutefois se demander pourquoi un tel instrument n’a pas été développé plus tôt. «Il fallait que la communauté scientifique convainque les politiques pour obtenir les financements, éclaire Martine De Mazière, chercheuse et directrice ad interim de l’Institut Royal d’Aéronomie Spatiale de Belgique. Mais surtout, il fallait attendre que la technologie soit mature car détecter les principales sources de CO2 demande une précision extrême. Puisqu’il y a des émissions de dioxyde de carbone partout à la surface du globe, il faut une mesure d’une grande finesse pour distinguer les endroits où ces émissions sont plus importantes. Et cette opération est encore plus difficile à réaliser depuis l’espace

Par ailleurs, MicroCarb ouvre la voie à la mission CO2M de l’Agence spatiale européenne (Esa). Prévu dans le cadre du programme Copernicus de l’Union Européenne, le lancement de 2 satellites CO2M aussi appelés Sentinel-7 devrait avoir lieu en 2026. Chaque satellite emportera un spectromètre fonctionnant dans le proche infrarouge et l’infrarouge court afin de mesurer la quantité de dioxyde de carbone produite par les activités humaines. Toutefois, contrairement à MicroCarb, ces engins ne mesureront la quantité de CO2 présent dans l’atmosphère avec une fréquence hebdomadaire qu’au-dessus de la latitude 40°, et non par sur la totalité du globe. La précision attendue est de l’ordre de 0,7 ppm pour une résolution spatiale de 2 km par 2 km.

En outre, le Japon, toujours très impliqué dans la mesure des émissions de gaz à effet de serre, a prévu de remplacer ses 2 satellites GOSAT-1 et GOSAT-2 par GOSAT-GW, dès 2024. La particularité de cette mission est de s’intéresser non pas seulement à la mesure des gaz à effet de serre, mais également de coupler des données avec une analyse du cycle de l’eau. Un spectromètre infrarouge à haute résolution surveillera les concentrations moyennes mensuelles de gaz à effet de serre dans l’ensemble de l’atmosphère comme le dioxyde carbone et le méthane. Parallèlement, un second instrument de type radiomètre micro-onde se focalisera sur le rayonnement émis naturellement par les terres et les océans pour déterminer les variations dans le cycle de l’eau.

GOSAT-GW est le successeur des satellites GOSAT-1 et GOSAT-2 de l’agence spatiale
japonaise (JAXA), lancés en 2009 et 2018.

«L’augmentation de la température globale de la planète de 1,5°C est inévitable. Mais si l’on ne fait rien, c’est une hausse globale de 2 °C ou 3 °C qui nous attend, prévient Martine De Mazière. Pour moi il n’est pas trop tard, il n’est jamais trop tard. On peut encore éviter le pire. Il faut prendre des actions efficaces et pour cela on a besoin de savoir précisément où sont les grandes sources de CO2. Plus on attend, plus le CO2 s’accumule dans l’atmosphère car ce gaz y a une durée de vie d’environ 100 ans. Il faut agir vite.» 

(1) Accord international entré en vigueur en 2005 et visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. 


Espace

Mais encore…

SpaceX a lancé 5 fois sa plus grosse fusée opérationnelle en 2023

La société d’Elon Musk a organisé fin décembre un vol de son plus gros lanceur lourd opérationnel Falcon Heavy. C’était le cinquième de l’année 2023. Un record. SpaceX a cette fois-ci envoyé dans la haute atmosphère l’avion spatial X-37B, un véhicule dont le développement est supervisé par l’armée de l’air et la force spatiale des États-Unis. Comme d’habitude, les 2 boosters latéraux réutilisables, qui ont déjà volé 4 fois, sont rentrés automatiquement sur Terre. Le décollage n’a pas été diffusé sur YouTube mais sur X (ex-Twitter), réseau social dirigé par le patron de SpaceX Elon Musk depuis 2022. Selon l’agence de presse Bloomberg, la société SpaceX, dont la valeur était jusqu’à il y a peu inconnue, serait aujourd’hui valorisée à pas moins de 175 milliards de dollars.

Une start-up devient le premier acteur privé consacré à la gestion du trafic spatial

La jeune pousse canadienne Northstar développe une constellation de satellites pour fournir des services de surveillance de l’espace et de gestion du trafic spatial. C’est la toute première entreprise privée à surveiller depuis l’espace l’ensemble des orbites à proximité de la Terre. L’objectif est de compléter, et d’améliorer dans certains cas, les données fournies par les États et les agences spatiales. «Les orbites proches de la Terre représentent environ 300 billions de km³ de volume à surveiller ! a commenté Stewart Bain, CEO de NorthStar. La surveillance depuis l’espace permet une couverture active in situ, corrige les lacunes des observations au sol et augmente la précision et la rapidité associées au suivi des objets dans l’espace.» D’après une récente étude de la Commission européenne, l’espace est tellement chargé en débris que chaque nouveau satellite a de 5% à 8% de chances d’être détruit par un impact avec l’un d’entre eux.

Votre nom sur une sonde d’exploration de Jupiter ?

La sonde Europa Clipper de la Nasa sera lancée vers le système jovien en octobre 2024. Elle devrait débuter ses premiers survols rapprochés d’Europe, l’une des 4 lunes de Jupiter, à son arrivée en 2030. L’objectif sera de repérer des indications de la présence d’une forme de vie dans l’océan d’eau liquide qu’Europe abrite sous sa banquise. Mais en attendant de pareilles découvertes, la Nasa a lancé la campagne Message in a Bottle pour permettre à chacun de graver son nom et son prénom sur des puces électroniques à bord de la sonde. En décembre dernier, plus de 1,7 million de personnes avaient déjà choisi de participer. La liste de prénoms sera accompagnée d’un texte écrit par la poétesse américaine Ada Limón. «Le poème relie les 2 mondes aquatiques: la Terre, aspirant à tendre la main et à comprendre ce qui rend un monde habitable, et Europe, qui attend avec des secrets encore à explorer», a précisé la Nasa

Share This