Physique

La nouvelle physique (belge)

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

Daniel Dominguez / CERN

En début d’été, 2 jeunes physiciens belges, l’un théoricien, l’autre expérimentateur, ont été promus au rang de chercheurs qualifiés du FNRS. De quoi leur permettre de poursuivre leur quête d’une nouvelle physique que toute la profession appelle de ses vœux

 
Rappelons que cette nouvelle physique est celle qui repousserait les limites actuelles du Modèle Standard des particules (MS), une théorie établie depuis un demi-siècle et qui décrit le mieux les particules élémentaires et leurs interactions. Malgré leurs efforts et les multiples expérimentations, notamment dans les accélérateurs et collisionneurs de particules, les physiciens n’ont jamais pu prendre ce Modèle en défaut. Tant mieux, rétorquera-t-on, cela prouve sa validité. Sauf qu’il reste inopérant face à certaines questions comme l’existence de la matière noire ou la prépondérance de la matière face à l’antimatière. D’où la nécessité de le dépasser.

Gauthier Durieux et Laurent Thomas sont animés de cette même envie de chambouler la physique. Le premier est plutôt théoricien, le second expérimentateur. Mais leurs travaux se rejoignent en un point qu’ils affectionnent particulièrement tous les 2: le CERN près de Genève et son collisionneur de protons, le LHC, le plus puissant du monde, qui vient de redémarrer en ce début d’été après 3 années d’entretien et surtout de mise à niveau.

Explorer les extensions du MS

La première confrontation de Gauthier Durieux avec le MS se produit lors de son mémoire de maîtrise et sa thèse de doctorat à l’UCLouvain, où il a fait ses études et à laquelle il est rattaché. Ses professeurs lui demandent en effet d’étudier une possibilité de non-conservation du nombre baryonique. Il s’agit d’une propriété des particules appelées quarks, préservée par toutes les interactions observées jusqu’à présent. Cette conservation apparente du nombre baryonique garantit la stabilité du proton et, dès lors, de la matière qui nous constitue. Elle est en accord avec les prédictions du MS. Sa non-conservation en revanche est une des 3 conditions nécessaires pour expliquer l’écrasante prépondérance de la matière sur l’antimatière autour de nous, ce que le MS n’explique pas. «Nous avons examiné la possibilité d’une non-conservation dans les interactions du quark top, la particule élémentaire la plus lourde connue à ce jour, qui est étudiée précisément au CERN», se souvient aujourd’hui Gauthier Durieux. «Mais sans succès !». Aux dernières nouvelles, le nombre baryonique semble toujours bien conservé. Le vieux MS résiste encore.

Au cours de ses mandats de postdoctorant, le jeune chercheur louvaniste pose notamment ses valises en Allemagne, au DESY (Deutsches ElektronenSYnchroton), où il participe à l’élaboration des caractéristiques du futur collisionneur destiné à remplacer le LHC actuel, un travail auquel il est encore associé aujourd’hui. «Les énergies mises en jeu y seront sans doute 7 fois plus importantes que dans le LHC actuel», résume-t-il !

Le mandat de chercheur qualifié devrait permettre à Gauthier Durieux de contribuer au développement d’un cadre d’interprétation théorique destiné à mettre en évidence des traces de nouvelles physiques dans les observations expérimentales. «Cette théorie dite effective permet d’explorer les extensions du MS de manière systématique, sans prendre parti pour un modèle plutôt qu’un autre, explique Gauthier Durieux. Au contraire, la théorie effective incorpore les effets indirects principaux de toute nouvelle physique qui apparaîtrait à des énergies plus élevées que celles produites dans nos accélérateurs actuels. Elle modélise en particulier les nouvelles interactions entre particules connues qui seraient induites par des particules trop lourdes pour être observées directement. Interpréter précisément les mesures expérimentales dans ce cadre théorique pourrait nous aider à identifier la direction dans laquelle le MS doit être étendu et la nature de la nouvelle physique qui vient le compléter.»

Un trajectographe très belge

Le CERN croise aussi très tôt la route de Laurent Thomas, rattaché à l’ULB: la réalisation de son mémoire en 2010 coïncide avec le démarrage de son grand collisionneur de protons, le LHC, et le conforte dans l’idée de devenir chercheur. «C’était une période extrêmement excitante», se souvient-il. «Je me rappelle avoir intégré en dernière minute dans mon manuscrit une représentation de la toute première collision enregistrée par l’expérience CMS du LHC dans laquelle un boson Z, une particule bien connue, était produit».

La thèse qui suit a pour enjeu la recherche de nouvelles particules extrêmement massives, détectables uniquement au LHC. Une proposition que Laurent Thomas ne pouvait évidemment pas refuser: «Le sujet était très motivant: nous avions là l’occasion de peut-être découvrir quelque chose de tout à fait nouveau.» Et de fréquenter davantage le CERN et sa communauté de chercheurs venus du monde entier ou presque. Des moments inoubliables… même si la particule traquée, le boson Z’ (Z prime, une hypothétique copie très massive de la particule évoquée plus haut) n’a pas voulu se laisser repérer.

Son projet de chercheur qualifié prévoit d’utiliser un processus physique particulier impliquant la fusion de 2 bosons Z ou W, les particules «vecteurs» de l’interaction nucléaire faible afin d’étudier le fameux boson de Brout-Englert-Higgs, découvert voici 10 ans, mais qui n’a pas encore livré tous ses secrets. «Dans les collisions de protons comme celles que nous réalisons au LHC, il peut arriver que chaque proton émette un boson vecteur, qui vont fusionner pour donner naissance à un boson de Higgs», détaille le physicien. Une technique qui sera aussi appliquée pour traquer d’autres particules.

Cela ne sera cependant possible que si les chercheurs disposent de quantités de données suffisantes et de moyens de détection adéquats. D’où la dernière partie du projet de recherche de Laurent Thomas: la mise à niveau du trajectographe de CMS, qui détecte les traces des particules chargées produites lors des collisions. Une partie instrumentale de la recherche fort prisée par le Bruxellois. S’ils veulent exploiter davantage de données dans les années à venir, les physiciens devront disposer de faisceaux de particules de plus grande intensité (c’est prévu dans l’évolution du LHC) et donc mettre à niveau les détecteurs actuels. «Ce nouveau trajectographe ne consistera pas simplement en une version plus résistante de l’actuel, précise Laurent Thomas. Ses performances seront grandement améliorées et il pourra être utilisé pour aider à appliquer un premier tri très rapide des collisions, pour décider en quelques micro secondes lesquelles méritent d’être enregistrées.»

Le remplacement d’une grande partie de ce trajectographe est une affaire belge puisque 5 de nos universités (Gand, Anvers, ULB, VUB et UCLouvain) y participent. «Notre travail ne consiste pas seulement à concevoir le nouveau détecteur mais aussi à le construire, explique Laurent Thomas. Deux mille petits modules seront construits ici à Bruxelles puis assemblés à l’UCLouvain. Nous irons ensuite installer l’ensemble au CERN en 2027 et réaliserons tous les tests nécessaires. Son fonctionnement devra être irréprochable car ce nouveau trajectographe devra opérer jusqu’en 2040.»  

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