Technologie

Crypto-monnaies:
décodage (2^e partie)

Virginie CHANTRY • virginie.chantry@gmail.com

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Avant les vacances d’été, nous vous parlions des cryptomonnaies et en particulier du Bitcoin ou BTC qui a fait école en la matière (https://athena-magazine.be/magazine/le-magazine-n357/les-cryptomonnaies-decryptees-1e-partie/). Nous abordions avec vous la technologie de la «blockchain» et la récompense par «preuve de travail» via le minage de BTC. Ici, nous passerons en revue d’autres moyens de sécuriser la blockchain et de gagner ou de se procurer des cryptomonnaies. Nous présenterons aussi certaines cryptodevises en particulier. Tout cela sous le regard éclairé d’une scientifique passionnée par le sujet…

Le minage constitue un moyen d’entrer en possession de BTC, à condition d’être un nœud du réseau et d’avoir la puissance nécessaire à la résolution du calcul pour trouver la clé. La «preuve de travail» couplée au principe, utile en cas de conflit, selon lequel la chaîne de blocs la plus longue est considérée comme valide, constitue ce que l’on appelle un «mécanisme de consensus» qui permet aux nœuds honnêtes de se mettre d’accord sur les transactions à valider et sur le montant des portefeuilles numériques de chacun, c’est-à-dire sur le contenu de la blockchain. Dans ce cas-ci, on parle de «l’algorithme de consensus de Nakamoto par preuve de travail». Mais il existe d’autres mécanismes de consensus permettant de gagner des cryptomonnaies différentes du Bitcoin et de sécuriser une blockchain.

Donnez-moi des preuves !

Commençons par la «preuve d’enjeu», «Proof-of-Stake» ou PoS, qui consiste à démontrer que l’on possède déjà une quantité minimale de la cryptomonnaie en question. Dans ce cas, les validateurs de blocs, que l’on appelle «forgeurs» et non mineurs comme pour le BTC, sont sélectionnés de manière aléatoire s’ils possèdent au moins la quantité préétablie. On parle de «minage virtuel» où les jetons numériques jouent le rôle de l’électricité dans la preuve de travail. Soit les forgeurs sont choisis pour créer des blocs, soit pour vérifier des blocs qu’ils n’ont pas créés. Comme aucune énergie n’est dépensée dans ces démarches et afin d’éviter certaines dérives, la preuve d’enjeu va de pair avec une garantie non-négligeable que les forgeurs doivent bloquer: en général, la quantité minimale qu’ils doivent posséder pour pouvoir être choisis comme vérificateurs. Elle sert de pénalité: en cas de tentative de fraude, le forgeur la perd dans sa totalité, alors que seulement une portion lui sera prélevée s’il est hors ligne alors qu’un bloc lui est parvenu pour validation.

De cette preuve d’enjeu découlent d’autres procédés de consensus permettant de gagner des jetons. Citons par exemple la «preuve de conservation», «Proof-of-Hold» (PoH): la probabilité d’être choisi comme validateur dépend notamment de l’âge des jetons possédés («coin age») c’est-à-dire du temps de possession d’un jeton. Ou encore la «preuve d’enjeu déléguée», «Delegated Proof-of-Stake» (DPoS): la probabilité d’être choisi comme forgeur dépend du nombre de jetons possédés mais également du nombre de jetons délégués par d’autres utilisateurs via un processus d’élection. Et il existe de nombreux autres mécanismes de consensus comme la «preuve de capacité» («Proof-of-Capacity» ou PoC), basée sur la capacité des machines des validateurs à stocker des données et donc à mobiliser des ressources, ou encore la «preuve d’autorité» («Proof-of-Authority» ou PoA), pour laquelle les validateurs sont définis à l’avance et, étant formellement identifiés, mettent en jeu leur réputation à chaque vérification de bloc.

Mais si vous êtes néophyte et pas du tout tenté par l’expérience de mineur ou de forgeur, vous pouvez tout simplement échanger des euros ou toute autre devise officielle contre de la cryptomonnaie (donc minée/forgée par quelqu’un d’autre à la base) afin d’approvisionner votre portefeuille virtuel. Il existe des plateformes qui proposent ces services selon le taux du jour et moyennant commission. Citons par exemple Coinbase, Binance et la plateforme belge bit4you qui permettent d’acheter et de revendre toutes sortes de cryptodevises. Faciles d’utilisation grâce à une interface user-friendly, elles s’adressent tant aux confirmés qu’aux débutants en les aidant à s’y retrouver dans les méandres du monde virtuel des cryptodevises. En revanche, si vous êtes à l’aise, vous pouvez choisir de gérer votre portefeuille numérique sans plateforme et utiliser l’interface d’un protocole blockchain pour réaliser vos transactions. Un petit conseil: n’investissez surtout jamais plus que ce que vous pouvez vous permettre de perdre ! Si vous préférez ne rien risquer, certains sites proposent par exemple de regarder des publicités en échange de cryptomonnaies, mais les montants sont très faibles.

Devenir mineur ou forgeur permet d’entrer en possession de cryptomonnaies en jouant un rôle dans la blockchain. Une
option plus accessible est d’utiliser une plateforme d’échange en ligne

Un océan de cryptomonnaies

Jusqu’ici, nous avons beaucoup parlé du Bitcoin, qui est à la base de la popularité des cryptomonnaies et de la technologie de la blockchain. Mais il existe de nombreuses autres cryptodevises, dont certaines – on parle d’«altcoins» – sont basées sur une blockchain qui leur est propre, alors que d’autres – les «tokens» – utilisent une blockchain existante et n’en sont alors qu’un «embranchement» avec des blocs qui leur sont propres. Penchons-nous sur un exemple en particulier.

Peut-être avez-vous déjà entendu parler du très populaire Ether ou ETH apparu en 2015, Ethereum étant la technologie sous-jacente. Deuxième (loin) derrière le BTC selon sa valeur du moment, il s’agit d’un altcoin et sa blockchain, jusqu’à très récemment, était également basée sur la preuve de travail, très énergivore. Pour y remédier, ses créateurs sont passés à un mécanisme de preuve d’enjeu lors d’un évènement très attendu dans le monde des cryptomonnaies, «The Merge», ayant eu lieu le 15 septembre dernier. À la clé ? Une réduction de la consommation en énergie de plus de 99% ! La particularité de la technologie Ethereum est qu’elle offre des fonctionnalités de niveau supérieur: elle peut être utilisée pour développer des applications décentralisées (DApps), que ce soit dans le domaine de la finance, des jeux, des réseaux sociaux… Dans quel but ? Rester anonyme, éviter la censure et créer ses propres règles arbitraires de propriété, notamment. Ethereum permet aussi de créer des «contrats intelligents». En réalité, il ne s’agit pas de contrats mais bien de petits programmes déployés sur le réseau (moyennant un coût) qui, lorsque certaines conditions préétablies entre plusieurs parties sont remplies, s’exécutent automatiquement sur la blockchain sans avoir recours à un tiers. Ils garantissent la transparence, sont immuables (une fois exécutés, on ne peut les modifier) et sont applicables à n’importe quel domaine. À noter que de nombreux tokens sont issus de la blockchain de l’ETH grâce à un protocole appelé ERC20.

Nous pouvons encore citer en exemple Litecoin, Celsius, Elrond, Diem, Solana… Le monde virtuel regorge de cryptomonnaies aux différentes caractéristiques plus ou moins adaptées selon ce que vous souhaitez en faire. Mais gare aux arnaques ! Certains profitent de la naïveté de débutants pour lancer des cryptomonnaies au nom attractif et se faire la malle avec le capital en devise officielle. De la sorte, la fausse nouvelle cryptodevise Squid, qui a vu le jour fin 2021 et tire son nom de la série Netflix à succès Squid Game, a rapporté plus de 3 millions de dollars américains aux escrocs. Ils n’ont eu qu’à attendre que le cours de la cryptodevise grimpe en même temps que sa popularité pour ensuite, lors d’un pic, en convertir d’un coup la totalité en devise officielle et s’en emparer. Le signe le plus évident de ce genre d’arnaque ? Il est souvent impossible de réaliser des transactions dans ladite cryptomonnaie sur des plateformes classiques comme Binance.

1. La série Netflix Squid Game a inspiré le monde des monnaies virtuelles qui a vu naître la cryptodevise nommée Squid. Malheureusement, il s’agissait d’une arnaque et ceux qui s’y sont laissés prendre en ont été de
leur poche…

2. Certaines cryptomonnaies maintiennent la parité avec une monnaie «réelle» qui
dépend d’un gouvernement ou d’une institution. Elles sont qualifiées de
«stablecoins».

Stablecoins

En parallèle se développent également ce que l’on appelle des «stablecoins» qui élargissent le concept des cryptomonnaies. Ces stablecoins garantissent une équivalence constante avec une valeur de référence «réelle», par exemple le dollar américain (USD). On dit alors que la cryptomonnaie est adossée à l’USD. Cela signifie qu’à tout moment, la valeur de la cryptomonnaie par rapport à cet actif reste stable, d’où le nom de stablecoins. C’est le cas par exemple du Tether (USDT), une cryptodevise qui répond à l’égalité 1 USDT = 1 USD. Cela permet de pallier les fluctuations de la valeur des cryptomonnaies si vous vouliez les convertir en une devise officielle. En théorie, les émetteurs de ces stablecoins se portent garants en cas de problème et affirment disposer de suffisamment de liquidités au cas où cela s’avèrerait nécessaire. À terme, chaque pays pourrait décider d’instaurer un équivalent numérique de sa devise officielle. Il ne s’agirait donc plus de finance décentralisée mais bien centralisée, et donc pas tout à fait de cryptomonnaie. On parle alors de «MNBC» pour «Monnaie Numérique de Banque Centrale». La Chine a d’ailleurs lancé son e-yuan pendant les JO de Pékin (mais il n’est pas encore utilisable partout dans le pays), la Banque Centrale Européenne planche sur un euro virtuel qui verrait le jour aux alentours de 2025, sans oublier le Japon et les USA qui sont également lancés dans des projets de stablecoins, pour ne citer que quelques exemples.

Pour en faire quoi ?

C’est bien joli tout ça mais une fois en possession de cryptomonnaies, que peut-on en faire ? On achète ou on vend des biens et des services dans certains écosystèmes particuliers, on spécule, on joue en bourse et donc on investit grâce à cet actif financier. Les cryptomonnaies sont aussi un moyen rapide, «pseudonymisé» et sécurisé d’échanger de l’argent, à moindre frais, sans plafond et avec le monde entier. Mais pour l’instant, elles ne nous permettent pas encore d’aller faire des courses au supermarché ou chez l’épicier du coin, même si, de façon anecdotique, certains sites Internet ou boutiques les acceptent déjà. Tentons d’en savoir un peu plus grâce à une experte en monnaie numérique qui répond à nos questions.

INTERVIEW

Leila Rebbouh, Docteur en Sciences Physiques et responsable du groupe d’Intelligence Artificielle chez NRB, un des plus importants fournisseurs de service IT en Belgique, répond à nos questions:

Quel est votre parcours professionnel ?

Licenciée en sciences physiques en 2002, j’ai défendu ma thèse de doctorat en 2007. J’ai ensuite travaillé dans la recherche, d’abord chez Toyota, ensuite au Canada dans le secteur public. À mon retour, j’ai exercé notamment en tant qu’enseignante. Vers 2014 j’ai créé une entreprise spécialisée dans la data science (science des données, ndlr) qui possède une filiale à Chicago. C’est grâce à cette expérience que j’ai atterri chez NRB, d’abord pour des missions ponctuelles et ensuite à temps plein à la tête du groupe IA. NRB est un des plus importants fournisseurs de service IT en Belgique avec 3200 employés. Le groupe IA a été créé au sein du département « Digital Transformation & Innovation » il y a un peu plus de 2 ans et demi. Mon travail est constitué de 3 piliers : trouver des clients pour des projets d’IA, organiser les activités de mes équipes de data scientists (scientifiques spécialistes des données, ndlr) afin de livrer de la qualité aux clients dans leur projet d’IA, et recruter des data scientists pour renforcer mon équipe.

D’où vient votre intérêt pour les cryptomonnaies ?

Durant ma période d’entreprenariat, j’ai baigné dans l’écosystème des cryptomonnaies. J’ai créé un projet dont le but était de miner des cryptodevises à partir d’excès d’énergie. Ce domaine me passionne à titre personnel. Tout autant que la technologie de la blockchain car elle peut être utilisée dans bien d’autres domaines. À ce titre, je suis à l’origine de deux autres initiatives : l’une dans la traçabilité agro-alimentaire qui m’a permis de co-gagner un concours européen, l’autre, « blockchain for prosumers », liée aux certificats verts, en cours d’implémentation dans le cadre d’un projet Interreg (programme de coopération territoriale européenne France-Wallonie-Vlaanderen, ndlr). D’ailleurs, chez NRB, même s’il n’existe pas de groupe en soi spécialisé dans la blockchain, nous promouvons toutes les technologies émergentes dont la blockchain, via le département duquel dépend mon groupe, « Digital Transformation and Innovation ». Par exemple, un petit projet est à l’étude en ce moment concernant la prise d’assurance via la blockchain.

En pratique, comment devient-on mineur de Bitcoin ?

Soyons clairs : plus personne ne peut devenir mineur de BTC. La technologie pour miner du BTC est devenue tellement pointue et chère qu’il faut de nombreux petits appareils particuliers qui font énormément de bruit et chauffent beaucoup. Même si l’on en a un chez soi, cela ne va pas permettre de gagner beaucoup d’argent. Car des gens ont détourné le principe de base de la blockchain, qui est celui d’une technologie décentralisée, pour créer des grosses fermes de minage (le fameux « farming », ndlr) centralisées avec des milliers de petits appareils qui minent. Il y avait beaucoup de telles fermes en Chine où il existait des hectares d’entrepôts de machines minant du BTC « au charbon ». Mais elles ont été bannies pour des raisons autocratiques. On en trouve maintenant beaucoup au Canada mais les énergies renouvelables sont en général préférées, d’un point de vue écologique et financier, le minage étant énergivore. En revanche, on peut miner chez soi des altcoins simplement avec son ordinateur. Il existe des sites Internet qui expliquent si cela vaut le coup ou pas selon le type de matériel que l’on possède.

Quel est le principal avantage des cryptomonnaies telles que le Bitcoin ?

Le plus gros avantage du BTC est sa communauté. Il faut savoir qu’une cryptomonnaie n’est pas une réelle monnaie. Ce qui peut en faire une réelle monnaie d’échange c’est soit une décision légale, ce qu’on n’aura jamais pour une cryptodevise car c’est antagoniste au système bancaire, soit par son usage dans un écosystème. Plus une cryptodevise est utilisée, plus elle devient une monnaie d’échange par la force des choses. C’est ce que souhaite la communauté du BTC qui est la cryptomonnaie la plus utilisée dans le monde.

Concrètement, à quoi servent les cryptomonnaies ?

Honnêtement, on ne peut rien en faire. Parce qu’il n’y a pas de lien entre le milieu de la cryptomonnaie et l’économie réelle. Les cryptomonnaies ne sont que des bulles spéculatives. C’est dommage pour les gens comme moi qui croient en leur principe de base, c’est-à-dire le fait qu’elles fonctionnent de manière décentralisée, libérées des tiers de confiance. En même temps, tous ces fonds spéculatifs sont la preuve qu’il existe quand-même une communauté qui en vit, même s’il n’est pas possible d’acheter son pain ou de recevoir son salaire en cryptodevise, excepté peut-être dans certaines start-up tech. Et en utilisant des plateformes d’échange, on peut convertir ces cryptomonnaies en devise acceptée par le monde économique. C’est comme ça que l’on peut devenir riche. Mais cela reste de la spéculation. L’écosystème essaie cependant de se renouveler d’année en année et tente de trouver des portes de sortie à ce monde spéculatif. Du coup, il existe des versions plus complexes des cryptomonnaies qui sont les NFT (Non-Fungible Tokens, voir Techno-Zoom de l’édition précédente d’Athena, ndlr). Ce sont des actifs digitaux qu’on achète à travers des cryptodevises, par exemple sur certaines plateformes de jeu. À quoi ça sert ? Il faut envisager le champ des possibles des « nouveaux usages ». Si vous achetiez, en cryptomonnaie, un bâtiment dans le métavers, vous pourriez travailler à côté de quelqu’un qui bosse chez Apple et du coup discuter ou prendre un café virtuel avec cette personne.

Les cryptomonnaies représentent-elles l’avenir et pourraient-elles remplacer les devises officielles ?

Comme toute personne qui croit en cette technologie, j’espère sincèrement qu’un jour une cryptomonnaie sera élevée au rang d’une devise officielle. Mais je voudrais soulever un point dont on parle peu : il faut faire attention à maintenir l’argent cash, en particulier, les petites coupures même si je crois au monde digital. Et ce n’est pas pour réduire la fracture numérique. Le cash peut montrer tout son intérêt dans certaines circonstances, par exemple en période de guerre. Mais aussi car il est tellement facile avec le digital, y compris le BTC, de tracer les transactions. On oublie souvent que le BTC n’est pas une monnaie « anonymisée » mais « pseudonymisée ». Serait-on d’accord donc, dans un monde uniquement digital, que toutes les transactions soient tracées à vie ? Moi qui suis une technophile profonde, je dis « non ». Nous devons garder le cash qui constitue une certaine forme de liberté.

Techno-Zoom

Elon Musk, qu’on ne présente plus, fait souvent parler de lui dans de nombreux domaines et les cryptomonnaies ne font pas exception. Fin 2022, sa société SpaceX devrait mettre en orbite lunaire, à l’aide de son lanceur Falcon 9, un petit satellite cubique d’environ 40 kg pour le compte de l’entreprise canadienne Geometric Energy Corporation (GEC) dans le cadre de sa mission DOGE-1. L’objectif est de récolter des informations sur le satellite naturel de la Terre à l’aide de divers capteurs et caméras. Quel rapport avec les monnaies numériques ? Le lancement a été entièrement financé par GEC en Dogecoin, une cryptomonnaie créée en 2013 un peu comme une blague. Elle a vivoté sans faire grand bruit jusqu’à soudainement flamber en mai 2021 grâce, fort probablement, à l’intérêt que lui a alors porté Musk. Elle diminue lentement et sûrement depuis.

Références

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