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DART: la mission  américaine qui va tous nous sauver ?

Fleur OLAGNIER • fleur.olagnier@gmail.com

©Juan – stock.adobe.com, ESA, NASA/JPL, ESA – ScienceOffice.org

Pour la toute première fois dans la nuit du 26 au 27 septembre, la mission DART de la Nasa a dévié la trajectoire d’un astéroïde. Objectif ? Tester une manœuvre de défense au cas où un corps céleste aurait la mauvaise idée de croiser l’orbite terrestre. Notre planète frôle en effet régulièrement divers astéroïdes dits «géocroiseurs», dont l’impact avec la Terre pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Personne n’a oublié le destin de ces pauvres dinosaures… Alors, comment les scientifiques se préparent-ils à «tous nous sauver» ? À quel point la collision avec un autre corps céleste est une hypothèse probable ? Éléments de réponses à des questions qui font froid dans le dos 

  
La crainte n’est pas neuve mais a pu être récemment ravivée par le film Don’t Look Up. Quand Jennifer Lawrence et Leonardo Di Caprio tentent de convaincre le monde entier qu’un astéroïde fonce droit sur la Terre, mais que la présidente des États-Unis incarnée par Meryl Streep est davantage préoccupée par sa popularité, la comédie satirique de Netflix nous plonge dans un scénario pas si éloigné que ça de la réalité…

En effet, chaque année, la planète bleue croise la route d’astéroïdes ou de comètes dits «géocroiseurs», c’est-à-dire dont la trajectoire s’approche ou entre en intersection avec l’orbite terrestre. La majorité sont des petits corps provenant de la ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, dont l’orbite a été modifiée par l’influence gravitationnelle de l’une de ces 2 planètes ou à la suite d’une collision (voir photo 1). «On peut dire que 99,9% des astéroïdes qui se rapprochent de l’environnement terrestre font moins de 10 m de diamètre et ne sont donc pas très dangereux puisqu’ils ont le temps de se désintégrer dans l’atmosphère», rassure Ozgur Karatekin, ingénieur et chercheur à l’Observatoire Royal de Belgique. Ce type de corps atteint notre planète environ tous les 10 ans, et tous les 20 à 30 ans ce sont des objets d’environ 20 m qui nous parviennent. 

1. Apollo, Aton et Amor sont les 3 classes d’astéroïdes qui passent près de la Terre ou traversent son orbite. Les astéroïdes Apollo comme 2014 SC324 croisent régulièrement l’orbite terrestre, ceux d’Aten la croisent également mais ont des caractéristiques orbitales différentes et ceux d’Amor croisent l’orbite de Mars mais manquent celle de la Terre.

Une détection difficile

Le plus connu est l’astéroïde Toungouska, qui a provoqué en 1908, sans toucher le sol, une gigantesque explosion en Sibérie centrale. L’onde de choc a été ressentie jusqu’au Royaume-Uni et les traces de l’événement sont encore visibles aujourd’hui. Plus récemment, en 2013, une météorite a explosé au-dessus de Tcheliabinsk, à 1 500 km de Moscou, blessant plus d’un millier de personnes (voir photo 2). «Cet événement peut être comparé à l’explosion d’une bombe au-dessus d’une ville avec des conséquences, mais pas de grande catastrophe, poursuit Ozgur Karatekin. Ce qui est plus dangereux, ce sont les corps à partir de 30 ou 40 m de diamètre, qui eux peuvent exploser proche du sol ou s’écraser avec la puissance de plusieurs centaines d’Hiroshima et par exemple détruire une ville. Leur probabilité d’apparition est d’environ un par siècle».  

2. Traînée de nuage de vapeur laissée par l’astéroïde Tcheliabinsk le 15 février 2013. Ceci montre la trajectoire par laquelle un objet proche de la Terre (NEO: Near Earth Object) d’environ 20 m de diamètre et de 13 000 tonnes (et jusqu’alors inconnu) est entré dans l’atmosphère terrestre au-dessus de la ville de Tcheliabinsk en Russie. 

Enfin, pour le chercheur à l’Observatoire Royal de Belgique, les plus inquiétants de tous sont les astéroïdes entre 40 et 300 m de diamètre dont l’impact sur Terre aurait l’effet de l’une de nos plus puissantes bombes atomiques actuelles: «On connait presque 98% des corps célestes de plus d’1 km de diamètre. En revanche, ceux entre 40 et 300 m sont très difficiles à détecter, on ne connaît que 20% des géocroiseurs de cette taille ! C’est cela qui fait peur: ils sont là, mais on ne les voit pas». Et le chercheur de donner l’exemple d’un astéroïde, pourtant de la taille conséquente de 30 m de diamètre, découvert après son passage en 2016 plus proche que nos satellites géostationnaires: «Heureusement, sa trajectoire n’a pas croisé la nôtre…», souffle Ozgur Karatekin. Pour rappel, l’astéroïde qui a causé la perte des dinosaures il y a 66 millions d’années mesurait approximativement 10 km de diamètre selon les estimations des scientifiques. 

Droit au but

En 2022, le plus grand corps céleste à frôler la Terre nous a rendu visite le 27 mai dernier: d’un diamètre de 1,8 km, (7335) 1989 JA est passé à un peu plus de 4 millions de km de nous (environ 10 fois la distance Terre-Lune). Aucun risque donc cette fois-ci. Cependant, face à la menace latente, l’agence spatiale américaine (Nasa) a lancé la mission Double Asteroid Redirection Test (DART) le 24 novembre 2021. Dans la nuit du 26 au 27 septembre, la sonde spatiale de 550 kg devrait entrer volontairement en collision avec le petit astéroïde Dimorphos de 160 m de diamètre, qui orbite autour de l’astéroïde (65803) Didymos (astéroïde double), dans le but de modifier sa trajectoire. L’objectif est de savoir si nous serions capables de dévier un corps céleste volumineux se dirigeant droit sur la Terre.

L’expérience complètement inédite fait partie du programme de défense planétaire de la Nasa mis sur pied à la fin des années 1990. En 2026, les États-Unis lanceront l’observatoire spatial NEO Surveyor, dédié à la détection des géocroiseurs de plus de 140 m de diamètre (voir photo 3). L’agence spatiale européenne (Esa) quant à elle, développe le réseau de télescopes terrestres FlyEye dans le même but. «Aujourd’hui, la Nasa et l’Esa observent avec des télescopes dans le domaine visible, ce qui empêche de détecter tous les corps qui se trouvent du côté du Soleil, pointe Ozgur Karatekin, également responsable d’un groupe de travail de la mission européenne Hera, qui avec la mission DART forment la coordination internationale AIDA (Asteroid Impact and Deflection Assessment). Le télescope spatial NEO Surveyor et le réseau terrestre FlyEye sont donc fondamentaux, car ils vont permettre de combler ce vide en observant dans l’infrarouge». La construction du premier télescope FlyEye-1 sur 4 au total, a actuellement lieu en Sicile pour une mise en service en 2023, avec environ 4 ans de retard. 

3. La plupart des astéroïdes sont noirs. Les petits sont difficiles à voir dans l’obscurité de l’espace avec un télescope optique, mais un télescope fonctionnant avec des longueurs d’onde infrarouges est sensible aux astéroïdes dont les surfaces ont été réchauffées par le Soleil.

La mission NEO Surveyor dirigée par la NASA et actuellement en phase B, utilisera un télescope infrarouge fonctionnant dans 2 bandes infrarouges de 4-5 microns et 6-10 microns.

4. La mission Hera utilisera l’infrarouge pour scanner le cratère d’impact de Dimorphos, le petit astéroïde orbitant autour de
l’astéroïde Didymos.

Un gravimètre belge

La Nasa et l’Esa sont les 2 seules agences spatiales à avoir une politique active dans la détection des géocroiseurs, avec chacune un centre dédié au calcul des trajectoires et une structure pilotant la défense planétaire, le tout basé sur les observations des télescopes terrestres Catalina Sky Survey (Arizona), Pan-STARSS (Hawaï) et bientôt, le Vera C. Rubin Observatory (Chili).

De son côté, l’Esa met aussi au point la mission Hera composée d’une sonde, de caméras et de 2 Cubesats qui décolleront en 2024 à destination de Dimorphos et de Didymos. L’idée ? Mesurer à son arrivée fin 2026 l’efficacité de la déviation produite par DART, en analysant la taille et la morphologie du cratère résultant, ainsi que la quantité de mouvement transmise (voir photo 4). «À l’observatoire Royal de Belgique, nous développons un instrument appelé gravimètre qui doit servir à mesurer le champ de pesanteur de l’astéroïde impacté, expose Ozgur Karatekin. DART possède une caméra, mais aucune analyse détaillée du système n’est prévue. C’est donc le rôle de la mission Hera, d’étudier avec précision les conséquences de l’impact sur Dimorphos, au-delà du simple changement dans la période de rotation».

Une dizaine de personnes de l’Observatoire de Belgique travaillent actuellement au développement d’un gravimètre, à la préparation des observations Hera et à l’élaboration de simulations numériques du cratère qui va être créé par l’impact. Le Centre des opérations du duo de Cubesats Hera sera situé dans le village de Redu, dans les Ardennes belges. L’Université de Liège et les entreprises Spacebel, Qinetiq, Vito ou encore Thales Alenia Space Belgium sont également impliquées dans la mission. Pour conclure, les agences spatiales américaine et européenne semblent avoir pris les choses en main quant à la menace des géocroiseurs. Rassurant. Reste simplement à espérer que la mission Hera puisse être menée à bien avant qu’un corps céleste ne vienne réellement affoler nos radars…

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