Mathématiques

Fascinante suite de Fibonacci

Clémentine LAURENS • Twitter: @ClemLaurens 

©Verin – stock.adobe.com

Ah, la fameuse suite de Fibonacci… Tout le monde, ou presque, a déjà entendu ce nom, même sans savoir exactement de quoi il retourne. Cette suite infinie de nombres (1, 1, 2, 3, 5, 8, 13…) est souvent associée au nombre d’or (Φ – PHI) objet de fantasme mathématique par excellence. Pourtant, l’intérêt de la suite de Fibonacci dépasse de très loin ses liens avec Φ !

En fait, elle constitue un excellent exemple de la manière dont s’échafaude parfois la connaissance mathématique: à partir d’un problème en apparence récréatif, sans grande ambition théorique, il arrive qu’on voie apparaître des objets aux propriétés surprenantes soulevant toujours plus de questions, ouvrant de nouveaux champs d’investigation… Regardons cela de plus près: avec Fibonacci pour guide et sa suite pour embarcation, partons en exploration sur le grand fleuve Mathématiques.

«Partant d’un couple de lapins dans un enclos, combien obtiendra-t-on de couples après un nombre donné de mois, sachant que chaque couple de lapins, à partir de deux mois d’existence, produit un nouveau couple par mois ?» Ce problème est issu de l’ouvrage le plus célèbre de Fibonacci, Liber abaci, publié en 1202. Penchons-nous un instant dessus. Le premier mois, seul un couple de lapins est présent. Le deuxième mois, ce couple n’est pas encore productif: il reste donc seul dans l’enclos. Le troisième mois, il produit un autre couple: on a dorénavant 2 couples de lapins. Le mois suivant, le premier couple produit encore un nouveau couple, mais le second couple n’est pas encore productif: on obtient donc, en tout, 3 couples. En poursuivant le raisonnement, on obtient les valeurs suivantes:

  
En regardant attentivement ce tableau, on constate que chaque case de la seconde ligne est égale à la somme des 2 cases précédentes: 2 = 1 + 1 ; 3 = 2 + 1 ; 5 = 3 + 2 ; 55 = 34 + 21…

Et c’est logique ! Car chaque mois, il y a le nombre de couples présents le mois précédent, plus un nouveau couple par couple productif. Mais comme chaque couple ne devient productif qu’au bout de 2 mois d’existence, le nombre de couples productif un mois donné est exactement égal au nombre de couples présents 2 mois avant.

Si vous n’avez pas tout saisi à ce raisonnement, ne détalez pas comme des lapins pour autant. Car les mathématiques ont ceci de fabuleux qu’elles permettent d’exprimer simplement ce qu’il peut être difficile de décrire avec des mots. Si l’on formalise ce qui précède, en effet, on définit tout simplement une suite de nombres commençant par 1 et 1, et telle que chaque terme de la suite est égal à la somme des 2 termes précédents. Nous y sommes: voilà la célèbre «suite de Fibonacci».

Notons au passage que derrière le défi mathématique imaginé par l’auteur du Liber abaci se cache en fait l’un des premiers modèles mathématiques de dynamique des populations (1) ! Un modèle simpliste, dans lequel les lapins ne meurent jamais et où leur reproduction est facile à décrire.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Comme les mathématiciens et mathématiciennes ne cessent jamais de lever des lièvres, ils ont commencé à triturer les termes de la suite de Fibonacci pour voir si des propriétés intéressantes – ou tout du moins amusantes – ne pouvaient pas en surgir (tel un lapin du chapeau d’un magicien). Ils ont par exemple découvert qu’en additionnant entre eux 10 termes consécutifs de la suite, le résultat était toujours égal à 11 fois le septième terme de la somme. En reprenant des valeurs du tableau ci-dessus, on vérifie ainsi que:

2 + 3 + 5 + 8 + 13 + 21 + 34 +55 + 89 + 144 = 374 = 11 x 34

Un mystère persistant

Et cela reste vrai pour n’importe quelle série de 10 termes consécutifs de la suite. La suite de Fibonacci possède de nombreuses propriétés comme celle-ci, que des amoureux des nombres se sont amusés à traquer et à lister. Cependant, des propriétés plus subtiles, plus profondes,
se cachent dans cette suite. On peut ainsi citer l’utilité des nombres de Fibonacci pour constituer des «triplets pythagoriciens»: ces ensembles de 3 nombres entiers (a,b,c) vérifiant a2 + b2 = c2. Quel intérêt ? Faire des équerres ! Car d’après le célèbre théorème de Pythagore, si l’on connaît 3 nombres entiers (a,b,c) vérifiant cette égalité, alors un triangle de côtés a, b et c sera toujours rectangle. Bien pratique pour manufacturer des outils de géométrie ! Et plus pratique encore: il existe une méthode systématique pour fabriquer un triplet pythagoricien à partir de 4 termes consécutifs pris n’importe où dans la suite de Fibonacci. Une jolie propriété, qui fait écho à des problèmes assez profonds de théorie des nombres.

Mais le plus surprenant avec la suite de Fibonacci est que, plus de 800 ans après sa création, elle n’a toujours pas livré tous ses secrets. Une question en particulier taraude les mathématiciennes et mathématiciens depuis des décennies, sans que personne ne soit encore parvenu à y répondre: y a-t-il, oui ou non, une infinité de nombres premiers (2) parmi les termes de cette suite ? Il semblerait que oui, d’après les tests faits par ordinateur. Mais nul ne peut l’affirmer avec certitude. Celui ou celle qui y parviendra verra sans aucun doute sa démonstration publiée dans la revue Fibonacci Quarterly, une revue spécialement dédiée aux résultats mathématiques relatifs à cette suite !

  

Leonardo
Da Pisa, dit
«Fibonacci»

Leonardo Da Pisa («Léonard de Pise») naît en 1170 (et meurt en 1250) en Italie. Plus connu sous son surnom «Fibonacci» («fils de Bonaccio»), il est le fils d’un commerçant et passe son enfance et sa jeunesse en Afrique du nord avec son père, lequel l’encourage très tôt à s’initier à la comptabilité.

Au cours de ses voyages et à mesure que croît son intérêt pour les mathématiques, Fibonacci constate la supériorité du système numérique indo-arabe (3) sur le système de numération romain, encore utilisé en Europe à la fin du 12e siècle. Il sera un ardent défenseur de ce système de numération, et beaucoup d’historiens considèrent qu’il est à l’origine de son adoption en Europe. Plus largement, Fibonacci jouera un rôle de «passeur de savoirs» pour l’introduction des mathématiques orientales et arabes dans l’Italie du 13e siècle.

 

 

Mais Fibonacci ne se contente pas d’importer des connaissances venues d’ailleurs: il apporte lui-même un certain nombre de contributions, formulant des problèmes et démontrant des résultats. Phénomène notable: il s’intéresse non seulement à des problèmes liés au commerce, mais aussi à des aspects plus abstraits, plus fondamentaux des mathématiques. Il apporte en particulier des résultats très novateurs en théorie des nombres, mais qui resteront largement méconnus pendant plusieurs siècles. Ses travaux de mathématiques appliquées, en revanche, ainsi que son activité d’enseignement, lui vaudront de son vivant une notoriété certaine.

 

(1)La dynamique des populations est un domaine des mathématiques qui cherche à comprendre comment une population donnée évolue dans le temps, en fonction des différentes contraintes qu’elle subit (mort, reproduction, prédation…).

(2) Un nombre premier est un nombre qui possède exactement deux diviseurs: 1 et lui‑même. Par exemple, 2, 3, 29 et 47 sont premiers, mais 6 ne l’est pas (car 6 est divisible par 1, 2, 3 et 6).

(3)Le système de numération indo-arabe correspond aux chiffres tels qu’on les connaît à l’heure actuelle, écrits avec les neuf symboles 0, 1, 2, 3, 4…

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