Physique

La fin des neutrinos stériles ?

Henri DUPUIS • dupuis.h@belgacom.net

©LanaPo – stock.adobe.com, ©CEA/Loris Scola

Malgré son caractère fantomatique, les physiciens espéraient piéger le neutrino stérile capable de mettre à mal le Modèle Standard de la physique des particules. Les derniers résultats de l’expérience STEREO semblent sonner le glas de cet espoir

 

L’année 2023 a commencé fort en physique des particules, par une sorte de condamnation à mort. Un papier publié le 12 janvier dans Nature (1) annonce en effet le rejet de l’hypothèse de l’existence des neutrinos stériles. Ce qui signifie un nouvel arrêt dans la marche vers la nouvelle physique qui voudrait aller au-delà du Modèle Standard (MS) des particules et faire enfin la lumière sur des énigmes toujours pas résolues comme la matière noire.

Même si on pourrait les qualifier de meilleurs amis de l’homme – des milliers de milliards d’entre eux nous traversent chaque seconde sans aucun dommage – les neutrinos sont des particules élémentaires qui n’ont cessé de jouer les troubles fêtes et d’ennuyer les chercheurs. D’abord imaginés avec une masse nulle, ils se sont finalement révélés porteurs d’une masse minuscule. Ensuite, ils n’interagissent pratiquement pas avec le reste de la matière au point d’être affublés du qualificatif de fantomatiques, ce qui a nécessité des trésors d’imagination et de technologie pour les repérer. Et surtout, ils adoptent un comportement très étrange. Dans les années 1960 en effet, lorsqu’on a commencé à mesurer les flux de neutrinos d’origine solaire, on en détectait toujours un nombre largement inférieur à ce que prévoyait la théorie. Expériences après expériences, les chercheurs se sont rendu compte que ce n’était pas la théorie qui laissait à désirer mais bien leurs mesures: ils ne mesuraient pas ce qu’ils croyaient mesurer. Il y a en effet 3 types de neutrinos, 3 saveurs: les neutrinos électroniques, les muoniques et les tauiques (chacun est «associé» à une autre particule élémentaire du MS). Les réactions nucléaires à l’œuvre au sein du soleil libèrent des neutrinos électroniques… qui, apparemment, n’arrivaient pas tous sur Terre. Ou plutôt ils y arrivent mais sous une autre forme d’où le déficit enregistré, les détecteurs n’étant calibrés que pour détecter un type de neutrinos. Les neutrinos manquants arrivent en fait aussi sur Terre, mais sous une autre forme, sous la forme de neutrino tauique. Ce phénomène est appelé oscillation: un neutrino qui naît sous une forme peut se modifier au cours du temps en une autre forme. Un phénomène très complexe qui est dû à la composition en «état de masse» des 3 saveurs. Chaque type de neutrino est composé d’un mélange de trois états de masse. Chez l’un, par exemple, les états de masse 1 et 2 seront très petits, l’état 3 plus élevé. Mais ces 3 états se propagent à des vitesses légèrement différentes; avec le temps, ces écarts entraînent donc une modification du mélange des états de masse. Ce qui explique que la particule change de saveur. Ce comportement tout à fait bizarre implique cependant 2 conséquences importantes. Tout d’abord, subir un changement signifie ressentir le temps. Selon la relativité d’Einstein, en effet, plus un objet va vite, plus son horloge interne ralentit (par rapport à une horloge immobile) jusqu’à s’arrêter lorsqu’il atteint la vitesse de la lumière. Comme le temps ne s’arrête pas pour le neutrino, cela veut dire qu’il ne se déplace par à la vitesse de la lumière (même si c’est proche), ce qu’on imaginait jusque-là. Ce qui signifie aussi qu’il n’a pas une masse nulle (caractéristique de ce qui se déplace à la vitesse de la lumière). 

Une quatrième saveur ?

On imagine sans peine que de telles découvertes ont poussé les scientifiques à mettre sur pied d’autres expériences afin de mieux comprendre ce changement de saveur. Et surtout de voir si cette fois le compte est bon. Autrement dit, connaissant le taux de conversion d’un type de neutrino en un autre, les détecteurs allaient-ils enfin mesurer le nombre attendu de neutrinos ? Hélas non ! Une expérience réalisée près de la frontière belge, à Chooz dans les Ardennes françaises, dite Double Chooz a tenté le coup mais cette fois avec des neutrinos issus des réacteurs nucléaires de cette centrale. Verdict: même en tenant compte des changements de saveurs, 6% des neutrinos manquent toujours à l’appel. Les théoriciens ont alors imaginé l’existence d’une quatrième saveur de neutrino, le neutrino stérile. Pourquoi ce qualificatif ? Car il serait encore plus fantomatique que les 3 autres (même si de masse supérieure), n’interagissant qu’avec la force gravitationnelle. Autrement dit, il serait insensible à toutes les autres forces fondamentales: électromagnétisme, force nucléaire faible et forte. Pour rendre compte de l’étrangeté de cette particule (qui, notons-le, n’apparaît pas dans le MS actuel, d’où son intérêt), les chercheurs utilisent une image: si vous étiez dans un avion suffisamment minuscule et rapide pour suivre un neutrino à la trace, vous le verriez donc osciller, c’est-à-dire passer par les 3 saveurs de manière cyclique. Mais à certains moments, il deviendrait stérile c’est-à-dire qu’il disparaîtrait sur sa trajectoire pour réapparaître un peu plus loin sous une autre saveur ! Plusieurs expériences à travers le monde ont alors été conçues pour repérer ce neutrino stérile, dont STEREO (Search for Sterile Reactor Neutrino Oscillations).