Comme je l’ai souvent dit, je suis une «découvreuse oubliée». Une de plus. Née dans une famille d’agriculteurs du pays de Brie, 5e d’une famille de 7 enfants, j’ai la chance d’avoir une mère qui veut que ses filles fassent des études. Ce n’est pas courant à l’époque. Attirée par le latin, je le suis aussi par la médecine que ma sœur aînée Paulette étudie alors dans Paris occupé. En 1942, à 17 ans, je la rejoins avec le désir de devenir pédiatre. En bon mentor, elle me transmet 2 messages: pour réussir en médecine, une femme doit travailler 2 fois plus qu’un homme et, venant de notre campagne, sans relations, nous ne pouvons compter que sur nous-même. Hélas, ma sœur perd la vie en août 1944 durant les derniers affrontements de la Libération. Cela ne m’a pas empêchée de réussir le concours de l’internat des Hôpitaux de Paris et je passe 4 ans en apprentissage clinique en pédiatrie. En 1955, je soutiens ma thèse en cardiologie pédiatrique sous la direction de Robert Debré, alors responsable de la pédiatrie en France. Il me propose une bourse d’études d’un an aux États-Unis. Je choisis Harvard, où je poursuis ma formation sur les cardiopathies congénitales. Je m’initie également à la culture cellulaire en travaillant sur des fibroblastes. J’avais eu la promesse de mon directeur qu’à mon retour de Boston, j’obtiendrai un poste en cardiologie infantile à l’hôpital Bicêtre. Raté: c’est un homme qui en bénéficiera. J’intègre alors l’hôpital Trousseau, dans le service dirigé par le Professeur Turpin, spécialisé dans les syndromes dits polymalformatifs, dont le «mongolisme» (terme médical utilisé à l’époque pour la trisomie 21) est le plus courant. Un an plus tard, quand 2 biologistes suédois établissent l’existence de 46 chromosomes chez l’humain, et que Raymond Turpin est favorable à l’hypothèse d’une origine chromosomique de la trisomie, j’ai un déclic. Je lui propose d’en faire mon affaire si on me donne un local. Il accepte et je constitue le premier laboratoire de culture cellulaire in vitro en France. Je travaille sur des fibroblastes issus de tissu conjonctif que le service de chirurgie voisin a prélevé au cours d’interventions. En le mettant en culture, je parviens à faire pousser les fragments et proliférer les cellules. Je travaille avec les moyens du bord. Dotée d’un vieux microscope, sans moyens financiers et travaillant bénévolement, je mets en culture des cellules de patients atteints du syndrome de Down et d’autres non atteints.