Technologie

Voitures électriques: où en sont leurs batteries ?

Thibault GRANDJEAN • grandjean.thibault@gmail.com

© phonlamaiphoto – stock.adobe.com, © Naeblys – stock.adobe.com, © freedom_wanted – stock.adobe.com, © romaset – stock.adobe.com, © DAKAR 2024

En passant d’un moteur à explosion à un moteur électrique, les voitures changent de carburant. Exit le pétrole, bonjour la fée électricité ! Mais si les moteurs électriques sont bien plus performants que leurs compères à essence, faire le plein d’électrons s’avère plus compliqué que de sans plomb

 
Le 29 avril 1899, une course automobile est organisée par la revue La France Automobile sur une piste de 2 km de long dans les Yvelines, près de Paris. Sur la piste, 2 voitures s’opposent: la «Duc», du constructeur Jeantaud, affronte la «Jamais Contente», construite par la Compagnie Générale Belge des Transports Automobiles Jenatzy, et pilotée par l’ingénieur belge Camille Jenatzy. C’est cette dernière qui remportera la course, dépassant au passage et pour la première fois les 100 km/h sur terre. Cette course pourrait paraître anecdotique, à un détail près: les 2 véhicules fonctionnaient… à l’électricité ! En effet, au début du 20e siècle, les voitures électriques occupaient près d’un tiers du marché automobile. Simples d’utilisation, elles étaient préférées par beaucoup aux moteurs à explosion et ceux à vapeur.

Pourtant, pendant plus de 100 ans, et notamment grâce au succès de la Ford T en 1908, ce sont les voitures à essence qui ont largement dominé nos routes, en dépit de quelques tentatives ponctuelles de faire revivre le moteur électrique au fil des ans. Car en 1899 comme en 2024, faire rouler une voiture électrique sur de grandes distances nécessite de lourdes batteries. La «Jamais Contente» pesait en effet 1 450 kg, dont la moitié provenait de ses batteries au plomb.

Place au lithium

Cette domination du pétrole arrive cependant à son terme. Avec le réchauffement climatique, l’Europe a sonné la fin des moteurs à essence, trop émetteurs de CO2. En 2035, leur vente sera interdite dans l’Union européenne, et les moteurs électriques reviennent donc en force. Et pour les alimenter en énergie, c’est la technologie des batteries lithium-ion qui a été plébiscitée par les constructeurs. Inventée dans les années 1970, puis progressivement améliorée dans les années 1980 jusqu’à sa première commercialisation en 1991 par Sony, la batterie Li-ion est à l’heure actuelle la plus puissante et la plus légère. Les différents inventeurs et ingénieurs qui ont contribué à ce succès ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de chimie en 2019. D’abord utilisées dans les dispositifs portables comme nos téléphones et nos ordinateurs, le doublement de leur capacité comme de leur durabilité au fil des recherches leur a permis de progressivement s’inviter dans nos voitures.

Comme toutes les batteries, celle au lithium-ion est composée d’une borne positive (la cathode) et d’une borne négative (l’anode). La cathode est faite d’un oxyde métallique tandis que l’anode est faite d’un mélange de noir de carbone et de graphite, comme celui que l’on trouve dans les crayons de papier. Entre ces 2 bornes, on trouve un mélange liquide qui contient les fameux ions lithium ainsi qu’un séparateur pour isoler les 2 compartiments. Lorsque la batterie est chargée, la grande partie du lithium se trouve du côté de l’anode, avec laquelle il est associé. Une fois qu’on met le moteur en marche, le lithium va alors migrer vers la cathode sous forme d’ion. Les électrons manquant, eux, vont faire le même trajet mais par les câbles qui relient les 2 bornes, générant ainsi un courant électrique. Et lorsqu’on met la voiture en charge, le phénomène inverse se produit ! «Ces 4 composants que sont l’anode, la cathode, le mélange liquide et le séparateur forment ce qu’on appelle une cellule électrochimique, révèle Frédéric Boschini, Professeur associé à l’Université de Liège, et logisticien de recherche en chef au Laboratoire GREEnMat. Et une batterie est composée d’une multitude de ces 4 couches qui se superposent sous forme de feuillets

Schéma d’une batterie Lithium-ion

Une cellule ne génère finalement que peu d’énergie. Il faut donc en aligner plusieurs milliers pour obtenir la puissance électrique nécessaire à la propulsion d’une voiture. Avec pour conséquence un poids non négligeable: la batterie d’une Renault Zoé pèse 326 kg, celle d’une Tesla près de 600 ! «C’est bien parce que les voitures nécessitent une quantité importante d’énergie que les batteries sont aussi lourdes, indique le Pr Boschini. Imaginons que vous ayez des panneaux solaires sur le toit de votre maison. En moyenne, et par jour de grand soleil, vous produirez environ une trentaine de kiloWattheure (kWh). Or, une voiture consomme entre 15 et 20 kWh au 100 km. Autrement dit, vous pourrez faire au maximum 200 km avec la production d’électricité de toute une journée. »

Le lithium est devenu une ressource extrêmement convoitée : bien qu’il s’agisse d’un élément assez abondant dans la croûte terrestre, les gisements exploitables de ce métal sont en réalité assez peu nombreux.

Haro sur les matières premières

Si les batteries Li-ion ont été grandement optimisées au cours des 30 dernières années, cela ne les empêche pas de rencontrer plusieurs défis. Le premier réside dans le mélange liquide que l’on nomme électrolyte et que l’on trouve entre les 2 électrodes. «Il s’agit de composés fluorés et de carbonates qui sont à la fois toxiques et hautement inflammables, détaille le Pr Boschini. C’est pour cette raison qu’une batterie comporte également tout un système d’électronique embarqué. Il va détecter et gérer tout problème de surchauffe, mais également à la charge de la batterie. En effet, le dépassement d’un certain seuil de température dans la batterie peut conduire à la décomposition de l’électrolyte en produits gazeux inflammables

Ensuite, les batteries Li-ion utilisent des matériaux rares, au point de créer des tensions géopolitiques et économiques importantes. Le lithium, tout d’abord. Surnommé l’or blanc, en raison de son importance centrale pour le stockage de l’énergie, il est devenu une ressource extrêmement convoitée. Car bien qu’il s’agisse d’un élément assez abondant dans la croûte terrestre, les gisements exploitables de ce métal sont en réalité assez peu nombreux: il est extrait de la saumure d’anciens lacs salés, comme dans l’Atacama, au Chili. Une voiture en requiert au minimum 10 kg, et jusqu’à 200 kg pour un bus. Rien que pour les batteries des voitures électriques et le stockage énergétique, l’UE aura besoin de 18 fois plus de lithium d’ici à 2030 par rapport à 2020, et jusqu’à 60 fois plus d’ici à 2050 !

Moins connu, les batteries Li-ion utilisent également du cobalt, un métal produit pour son immense majorité en République Démocratique du Congo. «Une majorité de batteries l’utilise au niveau de la cathode pour s’associer au lithium, explique le Pr Boschini. Or c’est la cathode qui va déterminer la densité d’énergie que la batterie est capable d’emmagasiner. Pour cette raison, certains constructeurs se détournent du cobalt pour d’autres matériaux de cathode à base de phosphate et de fer, moins chers mais qui ont des densités d’énergie inférieures. Tout cela entre dans un calcul bénéfice-coût, qui dépend de l’utilisateur final: après avoir construit de gros SUV avec d’énormes batteries, le marché est en train de changer pour des voitures plus petites, à l’autonomie plus courte, mais finalement plus proche de nos besoins réels.»