Technologie

Voitures électriques: où en sont leurs batteries ?

Thibault GRANDJEAN • grandjean.thibault@gmail.com

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En passant d’un moteur à explosion à un moteur électrique, les voitures changent de carburant. Exit le pétrole, bonjour la fée électricité ! Mais si les moteurs électriques sont bien plus performants que leurs compères à essence, faire le plein d’électrons s’avère plus compliqué que de sans plomb

 
Le 29 avril 1899, une course automobile est organisée par la revue La France Automobile sur une piste de 2 km de long dans les Yvelines, près de Paris. Sur la piste, 2 voitures s’opposent: la «Duc», du constructeur Jeantaud, affronte la «Jamais Contente», construite par la Compagnie Générale Belge des Transports Automobiles Jenatzy, et pilotée par l’ingénieur belge Camille Jenatzy. C’est cette dernière qui remportera la course, dépassant au passage et pour la première fois les 100 km/h sur terre. Cette course pourrait paraître anecdotique, à un détail près: les 2 véhicules fonctionnaient… à l’électricité ! En effet, au début du 20e siècle, les voitures électriques occupaient près d’un tiers du marché automobile. Simples d’utilisation, elles étaient préférées par beaucoup aux moteurs à explosion et ceux à vapeur.

Pourtant, pendant plus de 100 ans, et notamment grâce au succès de la Ford T en 1908, ce sont les voitures à essence qui ont largement dominé nos routes, en dépit de quelques tentatives ponctuelles de faire revivre le moteur électrique au fil des ans. Car en 1899 comme en 2024, faire rouler une voiture électrique sur de grandes distances nécessite de lourdes batteries. La «Jamais Contente» pesait en effet 1 450 kg, dont la moitié provenait de ses batteries au plomb.

Place au lithium

Cette domination du pétrole arrive cependant à son terme. Avec le réchauffement climatique, l’Europe a sonné la fin des moteurs à essence, trop émetteurs de CO2. En 2035, leur vente sera interdite dans l’Union européenne, et les moteurs électriques reviennent donc en force. Et pour les alimenter en énergie, c’est la technologie des batteries lithium-ion qui a été plébiscitée par les constructeurs. Inventée dans les années 1970, puis progressivement améliorée dans les années 1980 jusqu’à sa première commercialisation en 1991 par Sony, la batterie Li-ion est à l’heure actuelle la plus puissante et la plus légère. Les différents inventeurs et ingénieurs qui ont contribué à ce succès ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de chimie en 2019. D’abord utilisées dans les dispositifs portables comme nos téléphones et nos ordinateurs, le doublement de leur capacité comme de leur durabilité au fil des recherches leur a permis de progressivement s’inviter dans nos voitures.

Comme toutes les batteries, celle au lithium-ion est composée d’une borne positive (la cathode) et d’une borne négative (l’anode). La cathode est faite d’un oxyde métallique tandis que l’anode est faite d’un mélange de noir de carbone et de graphite, comme celui que l’on trouve dans les crayons de papier. Entre ces 2 bornes, on trouve un mélange liquide qui contient les fameux ions lithium ainsi qu’un séparateur pour isoler les 2 compartiments. Lorsque la batterie est chargée, la grande partie du lithium se trouve du côté de l’anode, avec laquelle il est associé. Une fois qu’on met le moteur en marche, le lithium va alors migrer vers la cathode sous forme d’ion. Les électrons manquant, eux, vont faire le même trajet mais par les câbles qui relient les 2 bornes, générant ainsi un courant électrique. Et lorsqu’on met la voiture en charge, le phénomène inverse se produit ! «Ces 4 composants que sont l’anode, la cathode, le mélange liquide et le séparateur forment ce qu’on appelle une cellule électrochimique, révèle Frédéric Boschini, Professeur associé à l’Université de Liège, et logisticien de recherche en chef au Laboratoire GREEnMat. Et une batterie est composée d’une multitude de ces 4 couches qui se superposent sous forme de feuillets

Schéma d’une batterie Lithium-ion

Une cellule ne génère finalement que peu d’énergie. Il faut donc en aligner plusieurs milliers pour obtenir la puissance électrique nécessaire à la propulsion d’une voiture. Avec pour conséquence un poids non négligeable: la batterie d’une Renault Zoé pèse 326 kg, celle d’une Tesla près de 600 ! «C’est bien parce que les voitures nécessitent une quantité importante d’énergie que les batteries sont aussi lourdes, indique le Pr Boschini. Imaginons que vous ayez des panneaux solaires sur le toit de votre maison. En moyenne, et par jour de grand soleil, vous produirez environ une trentaine de kiloWattheure (kWh). Or, une voiture consomme entre 15 et 20 kWh au 100 km. Autrement dit, vous pourrez faire au maximum 200 km avec la production d’électricité de toute une journée. »

Le lithium est devenu une ressource extrêmement convoitée : bien qu’il s’agisse d’un élément assez abondant dans la croûte terrestre, les gisements exploitables de ce métal sont en réalité assez peu nombreux.

Haro sur les matières premières

Si les batteries Li-ion ont été grandement optimisées au cours des 30 dernières années, cela ne les empêche pas de rencontrer plusieurs défis. Le premier réside dans le mélange liquide que l’on nomme électrolyte et que l’on trouve entre les 2 électrodes. «Il s’agit de composés fluorés et de carbonates qui sont à la fois toxiques et hautement inflammables, détaille le Pr Boschini. C’est pour cette raison qu’une batterie comporte également tout un système d’électronique embarqué. Il va détecter et gérer tout problème de surchauffe, mais également à la charge de la batterie. En effet, le dépassement d’un certain seuil de température dans la batterie peut conduire à la décomposition de l’électrolyte en produits gazeux inflammables

Ensuite, les batteries Li-ion utilisent des matériaux rares, au point de créer des tensions géopolitiques et économiques importantes. Le lithium, tout d’abord. Surnommé l’or blanc, en raison de son importance centrale pour le stockage de l’énergie, il est devenu une ressource extrêmement convoitée. Car bien qu’il s’agisse d’un élément assez abondant dans la croûte terrestre, les gisements exploitables de ce métal sont en réalité assez peu nombreux: il est extrait de la saumure d’anciens lacs salés, comme dans l’Atacama, au Chili. Une voiture en requiert au minimum 10 kg, et jusqu’à 200 kg pour un bus. Rien que pour les batteries des voitures électriques et le stockage énergétique, l’UE aura besoin de 18 fois plus de lithium d’ici à 2030 par rapport à 2020, et jusqu’à 60 fois plus d’ici à 2050 !

Moins connu, les batteries Li-ion utilisent également du cobalt, un métal produit pour son immense majorité en République Démocratique du Congo. «Une majorité de batteries l’utilise au niveau de la cathode pour s’associer au lithium, explique le Pr Boschini. Or c’est la cathode qui va déterminer la densité d’énergie que la batterie est capable d’emmagasiner. Pour cette raison, certains constructeurs se détournent du cobalt pour d’autres matériaux de cathode à base de phosphate et de fer, moins chers mais qui ont des densités d’énergie inférieures. Tout cela entre dans un calcul bénéfice-coût, qui dépend de l’utilisateur final: après avoir construit de gros SUV avec d’énormes batteries, le marché est en train de changer pour des voitures plus petites, à l’autonomie plus courte, mais finalement plus proche de nos besoins réels.»

1. Champs de lithium: étangs d’évaporation dans le désert d’Atacama au Chili – un «paysage surréaliste où naissent les batteries».

2. Test de batteries du moteur électrique.

L’innovation se poursuit

Les chercheurs du GREEnMat travaillent donc sur les batteries de nouvelle génération qui seront peut-être amenées à remplacer un jour celles au lithium. À ce titre, les batteries au sodium sont particulièrement étudiées. «Le sodium est un élément similaire au lithium, mais avec l’immense avantage d’être beaucoup plus abondant et plus largement distribué sur Terre, expose le Pr Boschini. Donc les batteries pourront être moins chères, et produites avec des ressources en parties locales. De plus, l’anode de ces batteries peut être conçue non plus avec du graphite, mais avec du carbone peu cristallisé, qui a l’avantage d’être une ressource renouvelable

Pour autant, il ne suffit pas de substituer le lithium par du sodium pour que la batterie fonctionne. «Le sodium a des capacités inférieures au lithium, et à poids égal, les batteries seront donc moins performantes, nuance le chimiste. Mais surtout, les batteries au sodium nécessitent l’utilisation de nouveaux électrolytes, et le développement de nouveaux matériaux de cathode, ce qui change complètement le processus industriel. Certains fabricants, en Chine en particulier, commencent malgré tout à équiper leurs voitures de batteries au sodium. Je pense que, dans les années à venir, plusieurs types de batterie vont cohabiter, en fonction des différents besoins.»

Et dans une optique d’économie circulaire, les chercheurs du GREEnMat visent également à optimiser les électrodes au graphite des batteries Li-ion en y insérant du silicium. «Nous sommes capables de recycler des panneaux solaires afin d’en récupérer le silicium, affirme le Pr Boschini. On peut alors lui donner une seconde vie en l’insérant dans l’anode des batteries. Cela permet de libérer de l’espace dans la batterie pour accroître la quantité de matériau de de cathode et augmente ainsi les performances de la batterie.»

Quid du recyclage ? 

Une chose est sûre, si on souhaite éviter une catastrophe environnementale, cet appétit gigantesque pour les batteries et le stockage de l’électricité devra aller de pair avec un recyclage performant. Or, il est difficile de recycler des objets aussi complexes qui comportent autant de composants et de minerais différents. En Belgique, la société Umicore, particulièrement pionnière dans le domaine, utilise une technique dite de pyrométallurgie. «Il s’agit d’un principe selon lequel la batterie est chauffée à très haute température, résume le Pr Boschini. On peut ensuite récupérer les différents métaux, mais on perd alors tout ce qui ne résiste pas à cette température comme le graphite

Selon le Pr Boschini, cependant, l’avenir est à la technique dénommée Direct Recycling: «Au lieu de tout concasser, l’idée ici est de faire un travail de précision. On ouvre la batterie et on en retire les différents éléments pour les traiter séparément. Par exemple, avec les cycles de charge et de décharge, les cathodes perdent leur capacité à s’associer au lithium. Or, il est possible de les traiter pour les réactiver et ainsi les remettre en circulation. Une telle méthode a plus de sens écologiquement, mais cela ne sera possible que si on connaît précisément la composition des batteries auxquelles on a affaire.» Car à l’heure actuelle, les fabricants n’ont que peu d’obligations en la matière. Seules quelques données sont présentes sur les batteries, ce qui reste totalement insuffisant pour envisager un recyclage de précision. «Savoir qu’il s’agit d’une batterie au cobalt ou au phosphate de fer n’est guère suffisant, juge le Pr Boschini. Dans quelle proportion ces composés sont-ils présents, sous quelle forme ? Nous avons besoin de données précises. De même pour l’électrolyte, il est primordial de connaître sa composition exacte afin de le traiter efficacement. Or, chaque constructeur dispose de sa propre recette, et celle-ci relève bien sûr du secret industriel

Mais les choses sont appelées à changer. Dès le 1er janvier 2026, toutes les batteries vendues en Europe seront équipées d’un QR code permettant d’accéder à un identifiant unique attribué à chaque batterie, ainsi qu’à sa composition précise. Véritable jumeau numérique, ces données reprendront en plus l’empreinte carbone totale de l’objet, depuis l’extraction minière et jusqu’au recyclage, ainsi que sa durée de vie attendue.

En parallèle, le Parlement européen prévoit d’imposer aux industriels des seuils minimum de minerais recyclés pour la fabrication de nouvelles batteries. Ces seuils devront atteindre 50% pour le lithium en 2027 et 80% d’ici 2031, et 90 à 95% pour le cobalt, le cuivre, le plomb et le nickel. Mais pour le Pr Boschini, ces normes seront d’autant plus efficaces que la production de batteries se fera en Europe: «À l’heure actuelle, l’immense majorité de la production se fait en Corée du Sud, au Japon, et surtout en Chine. Autrement dit, on cherche à imposer des normes à des produits dont on ne maîtrise pas la conception. Il est donc important de rapatrier à la fois les chaînes de valeurs et les connaissances sur ces objets
 
 

Techno-Zoom

UN BUGGY À L’HYDROGÈNE POUR LE DAKAR

Restons encore un peu dans le monde des 4 roues le temps d’une balade dans le désert. Le Dakar 2024, qui s’est déroulé en janvier dernier en Arabie Saoudite, dispose d’une nouvelle épreuve en marge de la course emblématique: Mission 1000. Il s’agit d’une course de 1 000 km en 10 étapes, réservée exclusivement à quelques véhicules triés sur le volet et équipés de nouvelles technologies, afin de tester leur résistance dans les très dures conditions du désert. Sur la ligne de départ, le buggy à hydrogène Hyse-X1, du consortium Hyse (Hydrogen Small Mobility & Engine Technology) et qui rassemble 4 marques japonaises: Suzuki, Yamaha, Honda, et Kawazaki. Contrairement aux véhicules à hydrogène actuels, qui sont des véhicules électriques alimentés par une pile à combustible, il s’agit bien ici d’un moteur à explosion, qui accepte de l’hydrogène à la place de l’essence. De plus, ce buggy de 998 cc de 1 450 kg, est en partie belge, car il repose sur le châssis de la société belge Overdrive Racing, et qui a été modifié pour accueillir les réservoirs de H2

Le consortium japonais n’est d’ailleurs pas le seul à s’intéresser aux moteurs à combustion alimenté par de l’hydrogène. En 2022, lors du rallye de Belgique WRC près de Ypres, la firme Toyota a utilisé une Yaris H2 comme voiture de démonstration, là encore avec un moteur à hydrogène. Cette dernière était équipée d’un moteur 3 cylindres 1.6 turbo, très proche de celui des déclinaisons routières, hormis quelques modifications sur le circuit d’alimentation et le système d’injection. Bien sûr, il n’est pour l’instant pas question pour les automobilistes de faire le plein d’hydrogène à la pompe du coin: ce dernier, très explosif, doit être stocké dans des réservoirs à haute pression. Mais à terme, il est probable que cette technologie, sans émission de CO2, alimente au moins les sports automobiles, très attachés au ronronnement des moteurs… 

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